C’est à croire qu’ils portent sur leurs épaules toute la malchance du monde. Paul et Martin, crooners maudits du duo Supernova, dévoilent aujourd’hui leur tout premier EP, trois ans après la formation du groupe. Un premier disque à la fois sombre et lumineux, qui vient s’immiscer sur la scène musicale parisienne en pleine épidémie.

Tout commence dans un pub de Londres, ou presque. Alors que Paul joue dans le groupe mi-français, mi-britannique Electric Discharge Machine, il rencontre Martin lors d’un enregistrement. “J’habitais à Londres où on enregistrait à l’arrache dans notre salle de bain”, se rappelle le chanteur. “Puis j’arrive à Paris, et je rencontre ce jeune type qui avait économisé tout au long de sa jeunesse pour s’acheter une table de mixage, une basse, une batterie… il pouvait jouer de tout !”
Entre rupture amoureuse et retour à Paris après la fin d’Electric Discharge Machine, l’humeur de Paul est loin d’être rayonnante. Ses carnets se remplissent de mots en français, jusqu’ici délaissés : “J’étais un peu déprimé, je ne connaissais plus grand monde à Paris, je ne savais pas vraiment quoi faire… Martin m’a fait venir dans son studio, il m’a accepté, m’a écouté. Ça a été salvateur” confesse-t-il. L’autre moitié du groupe renchérit : “Paul avait des choses à dire, mais il était à court de moyens techniques, tandis que moi, j’arrivais au point d’orgue de mon émancipation technique. Mais je n’arrivais plus à m’exprimer artistiquement”. Dès lors, un langage se tisse entre les deux musiciens, fluide et naturel : Supernova est né.
Si l’on se réfère au dictionnaire, la supernova est une explosion très lumineuse qui marque la fin de la vie de certaines étoiles. Une définition qui plaît aux deux musiciens infortunés, pour son côté “raté moderne”, à la fois grandiose et pathétique. À l’heure de la toute-puissance du rap, le groupe tranche avec sa poésie triste, non loin d’être macabre, sur des amants déchus, des étoiles qui meurent et l’amour qui ne dure jamais. Un décalage avec la scène actuelle que Paul revendique. Ses idoles : Frank Sinatra, Dean Martin et Chet Baker – surtout quand ses dents tombent, qu’il vient de se battre et qu’il s’égosille face au micro, le coeur blessé. “Quand un genre est aussi omniprésent comme le rap, ou le rock en son temps, se pose la question de notre légitimité à prendre le train en marche, avec ces codes très précis. Soit tu joues avec ça, soit tu affirmes que tu es un fragile !” plaisante Martin, vite rattrapé par son acolyte : “Ce qui me fait rire, c’est que dans le rap, ils jouent avec ces insultes, alors qu’ils sont très sympathiques. Alors que chez les crooners, c’est le contraire : ils paraissent très sensibles, mais c’est tous des salauds ! Je lisais la biographie de Frank Sinatra et je n’en revenais pas…”
Si vous êtes à la recherche du tube qui enflammera les pistes de danse du prochain Spring Break, fuyez dès maintenant. Si une certaine chaleur émane des “Vacances de Sarah”, ou de “Supernova”, le premier EP du duo baigne dans un clair obscur résolument mélancolique. En cinq titres qui voguent entre ombre et lumière, entre hiver et été, les ballades se déroulent les unes après les autres, rythmées par la voix nasillarde et grave de Paul. Un cocktail qui manque de plaire à tout le monde. Composé pour les coeurs brisés au fond des bars, les valses de Supernova provoquent parfois la rage du public – Martin s’en souvient : “Nous jouions dans une station de ski en fin de saison, il n’y avait plus grand monde. Un homme un peu ivre m’a demandé de jouer des morceaux plus rapides. Je lui ai dit que c’était impossible, alors il est parti en m’insultant. Mais après le concert, alors qu’on fumait dehors, il est revenu me voir pour se plaindre du concert… sans me reconnaître ! C’était très drôle.” Un épisode qui n’est pas anodin pour le duo, mais dont les deux hommes préfèrent rire. Ironique, c’est Paul qui aura le mot de la fin : “J’attends impatiemment le moment où sa copine le quittera. Et à ce moment précis, je serai là avec ma guitare, je le regarderai droit dans les yeux, et je lui demanderai : ‘alors qui a envie d’écouter un peu de Supernova ?’”
Propos recueillis par Lolita Mang