Ses collaborations avec Luidji ne suffisaient pas. Avec son projet Distant, Sage Pee conjugue ses talents de producteur, interprète et parolier pour écrire sa propre histoire. Une quête d'élévation spirituelle sur des productions irréprochables, de quoi nous inspirer pour 2021.

On n’a pas peur de le dire : l’influence est américaine. Mais inutile de voir en Sage Pee une version française du producteur-star cliché façon Metro Boomin ou Murda Beatz ; notre homme nous rappelle plutôt les éternels touche-à-tout, largement célébrés outre-Atlantique. Pharrell Williams, J. Cole, Kanye West pour les plus célèbres… Sage Pee, sait tout faire, Sage Pee n’a pas peur des étiquettes. Le musicien autodidacte est d’abord devenu producteur, épaulant l’éminent patron du Foufoune Palace Luidji sous l’alias de Pee Magnum, avant de prendre lui-même le micro à partir de 2015. Une trajectoire pas si évidente pour un artiste qui a toujours cultivé l’ombre et la discrétion.
Après une poignée de morceaux publiés sur Soundcloud et un premier projet de trois titres - Clan, Codes, Cash - sorti en 2019, Sage Pee a franchi un nouveau cap avec Distant (2021). Douze titres faits dans les règles de l’art - intro et outro comprises - mêlant cohérence et introspection. Cohérence de par sa construction : la tracklist s’écoule avec une telle fluidité que sa durée semble être presque divisée par deux. Impossible de voir les trente-six minutes filer ; on transite du froid au chaud, d’abord plongé dans les sonorités mates qui ouvrent le projet. Les rythmique sèches de « Vers la lumière » et « Je veux encore », les textures vocales réverbérées à la Travis Scott et Don Toliver sur « Convoi », l’ambiance mystique et profonde de « Mourir Jeune » lient les six premiers morceaux par une couleur tiède où règnent le spleen et les questionnements intérieurs.
Puis, pivotant avec l’éponyme « Distant », le projet se ravive, se réchauffe. L’électronique laisse alors place à l’organique, avec des batteries acoustiques, des chœurs et des guitares rappelant les meilleures productions soul du label Dreamville Records (J.Cole, J.I.D., Earthgang…) et par ricochet celles de Foufoune Palace. On ressent une nouvelle chaleur, celle qui accompagne l’âme d’un artiste dans son périple spirituel.
Car en plus d’être admirablement produit et interprété, Distant délivre une vision, un regard personnel sur le monde et notre existence terrestre. Celui d'un homme qui se cherche intérieurement, une âme en quête d'élévation. Les notions de mort et d'au-delà, qu'elles concernent lui-même ou les autres, sont omniprésentes : "Celle qui m’a fait doit voir l’or avant le paradis" ("Mourir Jeune"), "Vers la Lumière, j’veux plus voir le sous-sol" ("Vers la Lumière"), "Vivre Sans le Sou/Crever sans rien léguer" ("Sans le Sou")... Sage Pee véhicule un constant sentiment d'urgence, porté par une vie matérielle et spirituelle périlleuse, où les obstacles surgissent à chaque détour et où les jours sont comptés. Avec ses arrangements particulièrement soignés et son écriture précise, Distant met habilement la forme au service du fond. Des pensées confessionnelles sur des prods à l'américaine. A défaut de voir l'avenir, cela semble d'excellent présage.
Par Elie Klarsänger
Distant de Sage Pee est disponible sur toutes les plateformes de streaming :