Il fait encore jour. L’air et le sol semblent se rejoindre en ce gris et venteux après-midi. Les allures cuivrées du Hasard Ludique restent là, stables, surprenant assemblage de styles et de volumes. De ce point de vue, les soirées que nous y organisons avec Tourtoisie Music sont raccord.
Quelques dizaines de minutes perdues à flâner entre balances et errances en terrasse. On entendra au détour d’un regard PH Trigano raconter sa soirée de la veille, finie quelques heures plus tôt – « un sacré ride », selon l’intéressé. Son set commence dans une heure : faut-il désormais tourner à l’eau, ou à la bière ?
20h30. Tout est prêt. Le Hasard Ludique, du bar à la salle, est encore clairsemé. PH Trigano, justement, entame le délicat exercice de l’ouverture de soirée. Un morceau. Deux morceaux. La voix cristalline du chanteur parisien, qui n’hésite pas à nous faire des confidences sur ses mésaventures éthyliques, bat des rythmes chaloupés. L’air des Caraïbes pénètre l’atmosphère, tout comme le public qui se masse peu à peu et remplit bientôt la salle. On voulait voyager : sur les mélodies de PH Trigano, nous nous sommes laissé porter, tout comme l’audience du lieu qui a massivement quitté le bar pour rejoindre la salle de concert. Une ouverture : la douceur amère de PH Trigano signe ce qui, au bout de 4 soirées Populous, apparaît comme le démarrage le plus réussi de la franchise. Et pourtant, BUMBY avait placé la barre haute lors de Populous #3.
MOU prend les commandes, drapé de sa plus belle chemise. Baladeur, posé et un peu ailleurs, il nous promène dans son monde. Une stature de stentor, une barbe fournie et de la nonchalance ; des velléités de cha-cha et de croissants chauds un matin de gueule de bois. Au pied de la scène, on oscille, on se déhanche lentement. Des sonorités moins lascives et une voix plus rappée parachèvent tranquillement la phase « hip-pop » trendy de la soirée.
La queue aux toilettes. La queue au bar. Il y a du monde. On entame déjà la cinquième pinte – noblesse oblige, en arrivant à 18h pour prendre la température, le compteur s’affole vite. La queue, toujours elle, et certainement pas nos pauses tabagiques, aura eu raison de nous : on loupe le premier morceau du set suivant.
Le set suivant, justement, est celui de Lulu Van Trapp. On avait laissé Rebecca Baby et Manuel Depond, respectivement chanteuse et guitariste du groupe, deux ans auparavant, à quelques centaines de mètres de là. Au sein de la formation LA MOUCHE, à l’époque, les musiciens avaient fait très forte impression lors du Hors-Contrôle, tout premier festival organisé par Tourtoisie Music. Nos attentes étaient donc élevées. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles n’ont pas été déçues. D’un show électrique, où le charisme faisait écho à l’impertinence et à la maîtrise, Lulu Van Trapp a chauffé la salle à blanc. Entre pop « vintage », surf music et solos de guitares très seventies mâtinés d’un certain esprit punk, l’allégresse et l’ivresse se tiraient la bourre. Sans doute suis-je partial en écrivant ces lignes : il était néanmoins difficile de trouver un visage n’exprimant pas l’extase en allant fumer sa clope après un tel show.
La nuit avance sur Paris : les beats rave et les sonorités synthétiques s’abattent sur la Tourtoisie. Musique Chienne, bien moins calme qu’en album, nous distille ritournelles enfantines et paroles susurrées d’une voix douce, presqu’indolente. Servie par la toujours irréprochable sono du lieu, l’artiste nous envoie ses mots à coup de kicks. La timidité n’a plus sa place : les danses statiques caractéristiques des clubs et la sueur d’un public agité se mélangent. L’air, encore lui, se charge d’électricité. Pour éclater finalement lors du dernier concert de la soirée.
Gargäntua a en commun avec Musique Chienne un petit côté électro-clash. Vous me direz, rien de neuf à boboland : en 2019, dans une salle branchée de la porte de Saint-Ouen, on ne s’étonne plus vraiment quand des artistes mélangent musiques électroniques et un certain goût de la dérision. Ce qui n’empêche pas de le souligner, surtout quand ils le font bien. Gargäntua, deux jeunes hommes à l’air affable et, ma foi, forts sympathiques dans le civil, apparaissent sur scène tels deux anges démoniaques, maquillage et ailes sombres incluses. Flanqués d’un performer-culturiste qui nous fait la leçon – No pain, no gain –, c’est une claque qu’ils nous ont mis. Les pogos avaient pénétré la salle déjà quelques dizaines de minutes auparavant. Cette fois-ci, ils l’ont retournée.
Sans trop vouloir jeter des fleurs à ceux qui ont organisé la soirée – c’est-à-dire, nous, Tourtoisie, c’est encore une belle montée en puissance que nous ont offert les artistes de ce Populous #4. Passés les 2h du matin, sortis de l’enfer d’une salle où la température devait avoisiner les 500°C sur l’échelle de Richter, une idée en tête : vivement la prochaine. En tous cas, on a hâte de vous y voir.
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