Parce que les clips sont parfois de véritables bijoux, dignes de chefs-d'œuvre cinématographiques ; qu’ils sont le reflet visuel de l’univers musical de l’artiste. Parce que l'œil de l'équipe réalisation d’un clip a également son importance ; parce que leur vision artistique et leur rôle ne sont pas à négliger. Parce que mettre la musique en images donne parfois une seconde lecture à un morceau, on a souhaité analyser tout ça, pour vous : voici la rubrique Plan Clip.
Lous and The Yakuza, “Solo”
Après les morceaux “Dilemme” et “Tout est gore”, la nouvelle signature du label Columbia (Sony Music) revient avec un titre dénué de fioritures. “Solo”, une ballade en arpèges de guitare où la chanteuse Lous & The Yakuzas donne sa propre vérité, celle d’une femme noire congolaise, rwandaise et belge. Elle évoque, notamment, les cicatrices laissées par l’époque colonialiste de la Belgique au Congo, et le racisme.
Se concentrer sur les paroles, c’est le but de ce clip. Lous nous dévoile ici une chanson forte, et importante. C’est une chanson à fleur de peau, où la sincérité de l’artiste ne peut qu’émouvoir (“dois-je crier pour qu’on m’entende ?”). Les paroles sont simples, directes, pleines de questions sans apposer de jugement. C’est le seul morceau qui soit sans artifice, sans changement de coiffures ou de tenues. pas de production lourde, pas de danseurs. Juste la chanteuse à la peau couleur ébène, de rouge vêtue, seule, dans un décor blanc et vierge. La seule autre couleur présente est le jaune des sous-titres, en anglais. Le message de ce morceau doit passer, compréhensible pour tous. “6.0 année de l’indépendance”, Lous parle dans cette chanson du Congo Belge, sujet mal expliqué et développé en Belgique, sur lequel le rappeur Roméo Elvis s’était également exprimé dans son titre “La Belgique Afrique”. “Pourquoi le noir n’est-il pas une couleur de l’arc-en-ciel ?”, question presque enfantine, et pourtant percutante. Le sentiment de rejet se ressent même dans les choses les plus simples.
Habillée par la styliste Elena Mottola, Lous revêt un ensemble près du corps et transparent. Elle se met presque à nu, se dévoile, elle est vulnérable. De couleur rouge, à la fois couleur de la guerre mais également du sang, de la souffrance, ce n’est pourtant pas une armure. Les armes dans ce morceau sont invisibles (1:56), il n’y a pas de violence, ou de vengeance bien qu’il y ait le champ lexical du combat : “se battre jusqu’à la muerte”, “se défendre”, “rendre la pareille”. On retrouve également, des cordelettes blanches, déliées, qui peuvent rappeler les chaînes des esclaves, ou les “liens fraternels” qu’évoque Lous, qui ne semblent pas être liés quand on parle de racisme.
Lous & the Yakuza s’exprime au-delà des mots à travers les mouvements chorégraphiés par Kevin Bago, un artiste qui se définit comme interprète du mouvement. Ancien danseur de Christine and The Queens, Stromae ou encore The Blaze, il confère à Lous des mouvements très animaux, extra-humains dans ce clip. Quand la chanteuse tournoie tel un lion en cage par exemple, on comprend l’urgence, la frustration. Mais aussi des mouvements qui suggèrent la violence comme à 1:10 où elle semble être trainée au sol par une force invisible, ou encore à 2:20, où les bras sont croisés derrière le dos, avec grâce. On observe le mouvement de ses mains. Cette position lui donne une allure disruptive tandis que le doux mouvement de mains semble demander “dis-moi ce qui te gêne”. À 2:34, les mains sont liées, le dos courbé, le regard interrogateur “je sens ton regard et ton coeur qui se gèlent”, tandis que la caméra est en contre-plongée. Ici, on dénonce. On dénonce la soumission infligée aux esclaves ou aux prisonniers.

Au contraire, pendant les refrains, les mouvements sont amples et doux, très purs et libérateurs. Ce morceau au message sombre, est donc très lumineux, rempli d’espoir, et c’est de bonnes augures de voir une nouvelle figure de femme noire dans la musique populaire, qu’on peut compter sur les doigts d’une main, avec Yseult et Aya Nakamura. Lous & The Yakuzas, talent brut à suivre…
Par Prisci Adam
Swan Melani, “Long Island”
Swan Melani annonce la sortie de son prochain EP en nous dévoilant le clip de son morceau “Long Island”, un voyage énigmatique mêlant éclat et obscurité, beauté et malaise ou encore rêve et réalité.
Un voyage à l’image de son interprète, qui se considère comme “venant d’une autre planète”, grâce à sa voix pouvant monter dans les aigus, qui lui permet de jouer sur le côté mystérieux de son identité. Une voix androgyne certes, mais pas que, Swan Melani sème le doute dans son clip aussi, cheveux longs, boucles d’oreille, yeux maquillés, jeux d’ombres qui laissent planer le mystère, on comprend que cette partie de “l’humain” ne nous regarde pas. Un pari réussi, donc, pour l’artiste qui disait “Swan Melani, je ne veux pas que ce soit un garçon ou une fille”.
Le clip, réalisé par Rémy Barreyat, s’inspire du nom de la chanson, “Long Island”, qui est aussi le nom d’un cocktail à base de tequila, gin, vodka, rhum, cointreau, bref un cocktail qui enivre rapidement, permettant d’oublier ses ennuis du quotidien, ou au contraire, sombrer dans un tourbillon de souvenirs.
Des vertiges dûs à l’alcool, c’est ce qui est montré à l’écran. On y voit quelqu’un, seul dans la pénombre ou encore dans l’eau en train de se faire noyer par une main en fer. Des bribes de détails surgissent au fur et à mesure du montage, comme des souvenirs, flous. Des gros plans sur des fleurs, des cellules observées au microscope, des pétales volants dans les airs, un visage enfumé, de l’eau vibrant au rythme de la musique… tous ces éléments apparaissent tandis que notre protagoniste se fait enfoncer la tête sous l’eau par cette énigmatique main de fer.
Une magnifique excursion dans le cerveau grisé de Swan Melani, avec une esthétique superbe, notamment obtenue grâce à la lumière (de Victor Guéret) qui donne un réel ton du début à la fin du clip. Un bleu nuit, qui retranscrit bien ce songe, cette quête du souvenir, le mystère.
On ressort de ce clip un peu bouleversé, dans l’incompréhension, Swan Melani a réussi à nous transporter, avec sa voix d’ange et ses mélodies saisissantes mais aussi avec ses images aussi violentes que douces.
Par Tamina Manganas
NEON, “TONFA”
Près d’un an que le groupe bordelais NEON n’avait pas sorti de nouveau morceau. Leur premier album FLUO, porté par le puissant “Petite fleur”, retentit encore dans nos oreilles. En attendant le second opus, apparemment en cours, les voici qui reviennent encore plus fort avec le fabuleux clip de “TONFA”. Un premier aperçu plus que prometteur.
Si les trente premières secondes du clip révèlent quelques rues de Bordeaux, posant alors un décor calme et simple, c’est sûrement pour mieux nous tromper, pour mieux nous surprendre avec ce qui arrive ensuite. En effet, nous nous retrouvons très vite confrontés à une tension plus que palpable, une violence inévitable où chaque nouvelle image vient déformer la précédente, grâce à un effet aquarelle psychédélique.

C’est parce que NEON souhaitait obtenir quelque chose de chaotique et beau à la fois, que le groupe a fait appel à Antoine May. Après plusieurs journées de tournage (dont une avec le groupe), quelque temps à chiner dans ses banques d’images personnelles et un travail de montage précis, le réalisateur est parvenu à créer cette “peinture avec des data numériques”. Pour “TONFA”, celui-ci a choisi d’utiliser les défauts de compression des images à des fins artistiques. Une prouesse technique appelée datamoshing, qui nécessite de manipuler une suite d’images compressées entre elles. Comme dans le clip “Gilded Glaze” de Flavien Berger, les problèmes de compression créent alors des erreurs de visionnage, ce qui permet d’imprimer les données des mouvements.
Avec une association d’images aussi belles que violentes, le clip de “TONFA” raconte une histoire qui a du sens. Dévoilant successivement des gros plans sur des visages, des fourgons de police ou encore des requins, les images collent parfaitement aux paroles (“En roue libre comme la violence d’un flic”). Elles jouent avec une pointe d’ironie (le suicide qui rappelle le refrain “Never surrender”) et s’amusent des contrastes, comme lorsqu’elles font se confondre le couple qui se dispute puis qui s’embrasse (1.40). Ici, la rage, l’injustice et la folie ne peuvent que nous sauter aux yeux. “TONFA” se fait alors le dénonciateur du mal d’une époque et entre également en résonance avec de récents événements. Ici, il y a urgence. Tout comme la musique, le clip nous fait l’effet d’une bombe à retardement.
Par Laura Gervois
TERRIER, “Traversée Punk”
Voilà quelque temps que nous sommes plongés dans l’univers punk rêveur de TERRIER et à chaque fois, il est un peu plus difficile d’en sortir. À défaut d’avoir pu embarquer avec lui sur sa “Traversée Punk”, on visionne en boucle chaque seconde de ce clip intensément bouleversant, comme pour en saisir chaque petit instant. De “longues traversées punk” qui nous font l’effet d’une balade libératrice.
Celui qui a eu la chance d’accompagner TERRIER, c’est Julien Peultier (réalisateur et guitariste de Last Train). Caméra à l’épaule, ce dernier s’immisce dans l’intimité de l’artiste, qui entreprend alors, au volant de sa vieille Fiat, une virée introspective le long de la Manche. Un cadre et des mouvements au style bien particulier, qui n’est pas sans rappeler celui de Lars Von Trier. Une impression d’alterner entre documentaire, reportage et fiction, renforcée par le pouvoir du noir et blanc, soit une esthétique que l’artiste a très vite adoptée comme sa marque de fabrique.
À l’arrière du véhicule, ce n’est que par fragments que la caméra nous dévoile le visage de TERRIER. Des gros plans qui révèlent des détails (le volant, les compteurs…), avant de s’attarder sur son reflet dans le rétroviseur. On devine alors qu’il s’agit là d’un moment très personnel partagé avec sa voiture, d’une valeur sentimentale inestimable. Sa “Traversée Punk” est en effet “un moment d'exil à travers un décor anglais, on pourrait presque se croire dans un road trip movie, mais le focus est sur cette relation entre elle et moi.”
Au fur et à mesure que les différents plans s’enchaînent - notons d’ailleurs ce magnifique plan d’ensemble sur la voiture qui roule à 1.13 -, nous nous enfonçons un peu plus avec lui dans cette campagne embrumée. Les gouttes de pluie rebondissent sur le pare-brise, le ciel est gris, et pourtant, l’émotion semble à son comble. À ce moment précis, rien n’a jamais semblé plus agréable qu’être perdu sur cette route.
Et puis, vient le dernier refrain. Alors que la musique s’intensifie un peu plus, les images, elles, nous projettent dans un décor assourdissant. Le bord de mer. Ces plans d’ensemble sur les falaises, à côté desquelles on se sent quelque peu insignifiant, illustrent à merveille la poésie de TERRIER. Ce dernier, plus libre que jamais, tourne autour de lui-même, se laisse vivre, comme affranchi de la présence de la caméra, et de toute crainte. Comme lui, on se sent un peu invincible.
Par Laura Gervois
Bolivard, “FOCUS”
Cinq mois après la sortie de son dernier clip “Réalité”, Bolivard revient avec un nouveau morceau, “Focus”, dont il signe la composition, ainsi que la réalisation de la vidéo. Ce petit dessin animé entièrement illustré et animé par Bolivard lui-même nous montre la vie qui passe, marquée par ses différentes étapes.
La vidéo commence par un oeuf qui éclot. Un petit garçon, habillé en blanc et en noir… ça ne vous rappelle pas quelqu’un ?) en sort. On y suit un enfant, puis un adolescent, marchant au rythme de la musique, rencontrant ses premiers amis, ses premières amours, mais aussi ses premiers problèmes (l’entrée dans le monde du travail, la routine…). Bolivard met très bien en scène cette boucle infernale dans laquelle nous pouvons être, ce cercle vicieux, à travers des plans qui se ressemblent et dans lesquels notre protagoniste semble de plus en plus lassé.
Le voici traversant chaque étape de la vie, jusqu’à fonder une famille et voir son enfant quitter le nid familial à son tour. Propulsé à ses 70 ans, le personnage ne peut plus ralentir la cadence - une belle image de la vitesse à laquelle passent les années. La vie continue, mais difficilement, jusqu'à arriver à son terme. On comprend alors que toute cette histoire n’était que le fruit de l’imagination de notre Bolivard jeune. A-t-il donc compris que ce n’était pas la vie qu’il voulait mener ?
La végétation a une place importante dans ce clip car chaque moment de sa vie est symbolisée par un type d’arbre différent. Si la jeunesse est représentée par des palmiers - arbre évoquant la fraîcheur et la luxuriance de l’oasis au milieu du désert -, la trentaine est incarnée par des arbres verdoyants plus basiques, de type tilleul ou platane. Les sapins, eux, viennent incarner l’espoir. Les arbres perdent peu à peu leurs feuilles et deviennent orangés, jusqu’à perdre toutes leurs feuilles. Et l’espoir revient, quand, sur la tombe de Bolivard, s’y dépose une fleur éclatante. L’éternel recommencement.
Bolivard nous invite ici à réfléchir sur la routine, sur une vie qui passe trop vite, sur les choix que nous pouvons prendre qui pourraient changer ce chemin tout tracé. Le morceau, sans parole, nous permet d’apprécier pleinement le clip. Cette mélodie sifflée accompagne bien cette petite histoire, gaie et mélancolique à la fois. C’est donc un projet totalement réussi et mené à bien par Bolivard, du début jusqu’à la fin. Bravo.
Par Tamina Manganas.
Régina Demina, “L’amour monstre”
Une forêt enchantée, sublimée par une photographie évanescente. Un lac scintillant, un triangle amoureux entre lequel s’échangent jeux de regards dangereux et tentatives de meurtre. Il pourrait s’agir du dernier clip de la géniale Régina Demina, comme de L’Inconnu du Lac, film poisseux et angoissant d’Alain Guiraudie. La caméra y suit lascivement les ébats de Franck, incarné par Pierre Deladonchamps, avec Michel, qui se révèle être un dangereux psychopathe.

L’inspiration pour la vidéo de “L’amour monstre”, réalisée par Régina Demina et Aymeric Bergada, est plus qu’assumée. Tout y est, de la tension charnelle inquiétante, jusqu’à la noyade terrible sous le soleil exactement, rythmée par la voix de la chanteuse, qui ne cesse de scander : “C’est l’amour, c’est l’amour, c’est l’amour” sur une production électronique à base de métal et de dance de Lëster du label de Scratch Massive, bORDEL (où l’on retrouve également Mathilde Fernandez et Torb). Les plus attentifs le reconnaîtront : Ariel Borenstein – de son vrai nom – avait déjà fait une apparition devant la caméra dans le long-métrage de Robin Campillo, 120 battements par minute.
L’amour maudit chanté par Régina Demina se retrouve partout dans le clip, à la fois chanté et écrit à la craie sur les parois d’une roche, en russe (“любовь”) – clin d’oeil aux origines ukrainiennes de l’artiste. L’univers visuel plonge ainsi ses spectateurs dans une esthétique emo trempée à l’aube des années 2000, entre boucle d’oreilles unique, bagues griffées du fameux signe du yin et du yang et regards holographiques. Ne manque plus que le piercing au bout du sourcil… La photographie, dirigée par Florent Augizeau, est quant à elle saturée à souhait, donnant au décor un aspect résolument surnaturel et envoûtant, pour un titre meurtrier.
Par Lolita Mang