Parce que les clips sont parfois de véritables bijoux, dignes de chefs-d'œuvre cinématographiques ; qu’ils sont le reflet visuel de l’univers musical de l’artiste. Parce que l'œil de l'équipe réalisation d’un clip a également son importance ; parce que leur vision artistique et leur rôle ne sont pas à négliger. Parce que mettre la musique en images donne parfois une seconde lecture à un morceau, on a souhaité analyser tout ça, pour vous : voici la rubrique Plan Clip.
Mokado, “Afe”
À mi-chemin entre la techno de Daniel Avery et la musique minimaliste de Max Richter, on retrouve l’électro envoûtante de Mokado. Né à Paris en janvier 2018, il s’agit là du projet du percussionniste Sylvain Bontoux. Si, à la rédac’ de Tourtoisie, il nous semble difficile de patienter jusqu’à fin janvier pour pouvoir découvrir son EP Ghosts, on se console comme on peut en (re)regardant son premier clip, “Afe”. Un premier extrait qui a transcendé nos sens.
Le clip “Afe” s’ouvre sur un lever de soleil. Le ciel est rose ; les premières notes, planantes. Spectateurs et spectatrices sont immédiatement plongé.e.s dans une bulle de douceur. Face à l’océan, dos à la caméra, une jeune femme se tient debout au milieu de nul part. Pour comprendre qui elle est, il faut savoir que Mokado tient son inspiration des carnets de voyage de son arrière-grand-père, dans lesquels celui-ci conte la vie de personnages qu’il aurait croisés entre 1940 et 1990. Le clip “Afe”, c’est donc l’histoire d’un de ces personnages, qui prend vie, en musique, puis en images.

D’entrée de jeu, nous sommes donc plongé.e.s dans l’univers de cette “femme dans un pays inconnu, avançant sans but un certain Noël 1959”. Alors que celle-ci se lance dans une danse effrénée, la caméra pivote tout autour d’elle. Elle capture chacun de ses mouvements, qui finissent alors par scinder l’écran en deux (1.27). Peu importe les plans, peu importe les angles, Afe reste au centre de l’attention. Incarnée par la danseuse Clémence Juglet, la jeune femme nous entraîne avec elle. Sa chorégraphie se veut hypnotique, mais on ignore une chose : si celle-ci se laisse porter par la mélodie, ou si c’est la musique qui contrôle ses mouvements.

Cependant, bien que tout le clip soit intense et poétique, c’est son point culminant qui nous a particulièrement marqué : au beau milieu de la narration, une sorte de fondu au noir semble nous entraîner dans les tréfonds de la conscience d’Afe (3.24). Pendant quelques instants, seul son visage, dénué d’expression et éclairé au néon rouge, apparaît. Alors, ses mains reprennent la danse ; la musique s’intensifie ; l’image s’accélère ; puis, l’écran se divise en trois. Tout un tas de procédés techniques, alliés à une esthétique bien spéciale, qui donnent un effet magnifiquement étourdissant.
Ainsi, si “Afe” est un voyage d’émotions, où musique, images et mouvements concordent parfaitement, cela n’a rien d’étonnant. En effet, derrière le clip, se cachent les photographes et réalisateurs français Will & Joan. Habitué à collaborer avec Mokado (notamment sur les clips “Roland / Rework” et “Sahar”), ce duo d’artistes apporte un intérêt particulier à la couleur et aux mouvements, et retranscrit souvent à l’écran des chorégraphies dites “fantomatiques”. Ici, le résultat final en ressort à la fois sensuel et torturé. Le clip “Afe” nous transmet donc une énergie indescriptible, dans lequel les limites entre fiction et réalité apparaissent comme floues.
Mokado se produira sur la scène du Pop Up du Label à Paris le 26 février 2020.
Fils Cara, “Cigogne”
Mercredi 4 décembre, Fils Cara, dernière recrue du label microqlima (L’Impératrice, Pépite, Isaac Delusion), dévoilait le troisième volet de sa série de clips verticaux (filmés au format smartphone). Après “Nanna”, et “Contre-jour”, c’est avec “Cigogne” que celui-ci est venu compléter son triptyque visuel, inspiré de fresques religieuses de la Renaissance et de références mythologiques. Une oeuvre d'art des temps modernes, qui nous immerge encore plus dans l’univers du rappeur Stéphanois, d’origine Sicilienne.
Plus qu’un simple clip, “Cigogne” est donc un véritable tableau vivant, dont l’ensemble de la scène n’est révélé qu’au fur et à mesure, grâce à un travelling arrière (avec Julien Ramirez en chef opérateur et Céline Erb en première assistante caméra). Comme pour les deux précédents volets, Antoine Mayet et Julien Malegue (Studio GLOBAL) se sont chargés de la réalisation. Alors que “Nanna” évoque un épisode de la mythologie sumérienne - Nanna y représente le Dieu de la Lune -, et que “Contre-jour” reconstitue une cérémonie égyptienne, “Cigogne” se construit autour de deux univers. L’un est noir et sombre ; l’autre, plus coloré et apaisé.

En effet, Fils Cara apparaît à deux reprises dans le tableau. Ces deux réalités dévoilent deux versions du rappeur, aux antipodes l’un de l’autre. Le premier est plongé dans le noir, le regard dans le vide, un oiseau en cage sur la tête. La lumière qui scintille sur son visage lui donne un air mystique (0.31) … Une vision qui se trouve être au cœur du troisième œil. Symbolisant les angoisses, la culpabilité et les fautes de l’artiste, celle-ci nous renvoie un peu à nos propres démons.
Quand finalement Fils Cara ouvre son troisième œil, le monde autour de lui paraît tout de suite beaucoup plus doux, beaucoup plus détendu. Ce troisième œil perce alors l'écran tel une “métaphore mystique et ésotérique du troisième regard, celui de la connaissance de soi” (une croyance issue des religions hindouistes et bouddhistes). La cigogne n’a pas non plus été placée là par hasard. Que ce soit par les Romains, les peuples antiques ou les peuples arabes, celle-ci est considérée comme un animal emblématique, qui incarne la clémence, la lucidité, le calme ou encore la compassion. Cette image nous laisse d'ailleurs penser : Fils Cara aurait-il fini par accepter "le poids du passé" ?

Mais, il faudra attendre la fin pour que la caméra dévoile le tableau dans sa globalité : de la décoration (Bonsoir Paris / Morgan Maccari à la D.A.), au stylisme (Margot Duse), en passant par les objets 3D créés par Sato Creative, aucun détail n’a été négligé. Par exemple, la tête géante sur laquelle se tiennent l'artiste et les trois muses (Adja Kaba, Duc Siegenthaler et Kearvina Sohun) est également présente sur la pochette de son EP, "Volume". "Cigogne" annonce donc la couleur : Fils Cara, un ange déchu, coincé entre des névroses contemporaines et une sagesse digne de grandes références mythologiques.

EP “Volume”, à paraître 17 janvier prochain chez microqlima. Fils Cara jouera sur la scène des Bars en Trans ce soir à Rennes, et dans plusieurs villes de France à partir de février 2020.
Hilldale, "Postcard"
En préparation de la sortie de leur nouvel EP, “Jelly Dreams”, prévue pour le 31 janvier 2020, Hilldale vient tout juste d’en dévoiler les deux premiers extraits, accompagnés d’un clip. Ainsi, si Hilldale vous est encore inconnu, le clip “Postcard” est la parfaite entrée en matière pour plonger dans l’univers musical du groupe Dijonnais, car il illustre à merveille leur “pop song intemporelle au goût de bubble-gum”. Retour en enfance garanti.
En pensant le clip “Postcard” de cette manière, Margaux Dauby est entièrement parvenue à saisir l’esprit du groupe Dijonnais. Chaque facette de leur musique semble avoir été retranscrite à l’écran : l’euphorie adolescente, la confiance un peu naïve et la douce mélancolie d’une pop stratosphérique. Ainsi, à l’image de l’indie-pop rétro-nostalgique d’Hilldale, le clip nous fait l’effet d’un retour vers le futur. Un véritable voyage dans le temps ; une carte postale datée d’une autre époque, grâce à laquelle des bribes de souvenirs envahissent nos esprits.

Ce qui retient particulièrement notre attention dans “Postcard”, c’est ce calque rose, tendant ainsi à nous envelopper dans une douceur de coton. Les images du clip sont un peu floues d’ailleurs, et on ne distingue jamais vraiment les personnages (sauf dans le cas de plans rapprochés et gros plans), mais on a de suite le sentiment d’être dans un autre temps. Entre un entrainement de patinage artistique et une balade dans les champs, le clip nous emmène en colonie de vacances.

Et puis, il y a les différents plans sur les paysages, les prises de vue aérienne sur la mer, à la nuit tombée, sur les villes désertes … Parfois, plusieurs images se confondent et produisent un effet de surimpression (4.35 ; 5.18 ; etc). “Postcard” est lent. Il semble prendre son temps, comme pour nous offrir une expérience synesthésique ; une échappatoire à la folie du monde moderne.
"Postcard", extrait de l'EP “Jelly Dreams” à paraître le 31 janvier 2020. Hilldale sera en concert au Supersonic, Paris, le 4 février prochain.
Par Laura Gervois.