Après avoir remporté les succès critiques aux côtés de ses camarades de BRNS, Antoine Meersseman se lance au solo. Celui qui se fait désormais appeler Paradoxant sort aujourd’hui son premier album, Earworm. Aussi dérangeante qu’efficace, sa pop teintée de grunge et d’indus embarque son auditeur pour un périple aux mille saveurs.

À quoi pense celui qui se meurt ? Bien sûr, on ne manque pas de théories sur le sujet. Certains aiment à croire que le cerveau se repasse sa vie en vitesse rapide. D’autres qu’une lumière nous attend au bout du tunnel. Mais à quoi pense-t-on vraiment ? Quel effet ça fait, la mort ? Il est des questions un brin plus réjouissantes, on en conviendra. Pourtant, c’est bien la sensation qui habite celui qui écoute le premier album de Paradoxant. Premier en apparence seulement, car derrière le pseudonyme se cache en réalité Antoine Meersseman, membre émérite du quatuor bruxellois BRNS.
Earworm porte bien son nom, car une fois que la pensée nous a traversé l’esprit, impossible de s’en débarrasser avant la dernière piste. Disons que celui-ci commence sur les chapeaux de roues. L’ambiance lourde du premier morceau, ironiquement — ou non ? — intitulée « Rebirth » trouverait sans problème sa place dans un projet de Marilyn Manson. La voix est profonde, le beat saccadé, l’atmosphère étouffante. L’accueil est froid, mais efficace. En quelques coups de caisse claire, Paradoxant nous fait plonger dans un univers torturé, aux allures d’Alice au pays des Merveilles sous crack. Le protagoniste vit ses derniers instants.
Après cette glaçante entrée en matière, l’optimisme assumé de « Dead Beat » surprend. La mélodie au synthé se veut entraînante, le chant féminin est rassurant. Tandis que les orteils se mettent à bouger en rythme, le son se fait de plus en plus planant. L’excès de dopamine fait perdre tous ses moyens, les instruments sont de moins en moins discernables. Le brouhaha s’intensifie et soudain, toute notion du temps est désormais floue. Ce n’est qu’au moment que l’on comprend que l'on s'apprête à basculer que Paradoxant nous sert « Modern Lie ».
Bien plus dissonant que ses prédécesseurs, il est le morceau qui introduit deux ingrédients que l’on retrouve dans le reste de l’album : les paroles répétées avec « I hope you walked the line » (« J’espère que tu as franchi la ligne »), par ailleurs lourdes de sens quand on analyse le projet comme une chronique du passage entre la vie et la mort ; et les cris torturés, mixés discrètement, qui rappellent le chaos insufflé par Kurt Cobain dans « Territorial Pissings », largement capable de donner quelques sueurs froides à celui qui se concentrerait un peu trop dessus.
« Le rock à guitares, le songwriting, ça n’a jamais été trop notre truc », plaide Antoine Meersseman aux côtés de BRNS. « Au flair, on crée des ponts entre musiques populaires et cérébrales ». L’ambition reste la même sur Earworm. Si l’album s’est indéniablement teinté d’une originalité par rapport aux projets composés avec le groupe bruxellois, difficile de qualifier autrement le style de l’album de « pop bizarre ». Écouter Earworm, c’est être constamment sur le fil entre rythmiques entêtantes et malaise profond. « Sometimes » est peut-être l’apogée de ce sentiment à deux facettes. Un côté faussement simpliste pour attirer les oreilles peu attentives, accompagné d’une mélodie angoissante, façon cirque hanté.
Mais tenter de se débarrasser de ce malaise, c’est passer à côté de l’expérience proposée par Paradoxant. Car côtoyer la mort, c’est se sentir plus vivant que jamais. Ces rimes répétées en boucle, comme pour hypnotiser l’auditeur en lui faisant baisser sa garde, apportent une véritable puissance à la progression des morceaux. Les cris, eux, sont le parfait contrepoids de mélodies parfois lancinantes, comme si se laisser aller n’était pas acceptable dans cet univers abstrait qu’est l’au-delà. Jusqu’à l’explosion libératoire qui a lieu sur « Faster », après le crescendo de pression ressenti durant tout l’album. L’angoisse s’enfuit au galop, pour ne laisser que la légèreté d’« Asylum », avant-dernière track.
C’est presque comme si Antoine Meersseman s’amusait à donner fausse piste sur fausse piste avec ses titres. Ici, l’asile n’a rien d’une maison de dérangés. Du moins, si c’est le cas, ce sont des yeux bienveillants qui se posent dessus. Les cris se sont résignés. La folie est guérie. L’autre côté ne semble plus si terne. Ce n’est finalement que le passage qui est douloureux. Une mauvaise épreuve, qui ne peut mener qu’à quelque chose de réconfortant. Attention néanmoins à ne pas la désirer de trop près. La pop dansante et brute de « Summer Glow » rappelle que rien ne sert de se précipiter. Le temps fera son affaire. En attendant, profitons.
Par Simon Aunai