C'est durant le MaMA Festival & Convention que l'on a eu la chance d'interviewer Vincent Roberge, à qui on doit le projet Les Louanges. C'était un jeudi gris à Paris, où l'accent québécois s'est invité pour réchauffer nos esprits, peu avant de raffler trois prix - dont celui de l'album de l'année - au Gala Adisq (au Québec).

Hello Vincent, première question : Tu es originaire du Québec et tu es aujourd'hui en France dans le cadre du MaMA Festival, en quoi les manières de travailler sont différentes ?
Au Québec je remplis des salles de 700 personnes. C’est différent d’ici mais c’est bon pour l’égo (rires). Là-bas, j’ai le luxe de choisir les gens avec qui je travaille, tandis qu'en France j’accepte tout. Finalement, les jeunes occidentaux se ressemblent tous, je situe plus l’écart entre les jeunes et les vieux. Au fond, la seule différence c’est la langue. C’est surtout les autres qui la remarquent, ça arrive qu’on me dise : « c’est trop drôle quand tu parles ». Pour mon saxophoniste qui vient de Besançon mais vit à Montréal depuis 10 ans c’est la même chose, on lui rappelle tout le temps qu’il vient de France.
Tu as été élu « Révélation musicale de l’année au Québec » et tu es ami avec Hubert Lenoir. Est-ce que tu as l’impression de t’inscrire dans un mouvement générationnel et artistique particulier ?
J’ai l’impression qu’on a une belle cuvée 1990 en ce moment au Québec. Il y a beaucoup d’artistes légèrement plus vieux qui nous ont ouvert la voie. Maintenant j’ai l’impression qu’on s’assume plus en tant que Québécois. Quand on va tourner au Canada anglais ou aux States, on chante en québécois et ça redevient cool par rapport à il y a quelques années, quand c’était dépassé.
Quand on entend le nom « Les Louanges », on imagine un groupe, et pourtant tu incarnes ta musique seul en dehors de la scène. Comment s’effectue le travail de composition ?
La majorité des sons vient de mon ordi, surtout les nouveaux titres qui sont plus électro. Les instruments organiques sont souvent rajoutés après coup. Les Louanges, c’est mon surnom et quelque part, je trouve ça intéressant parce que ça retire le « focus » de ma personne pour le mettre sur la musique, un peu comme « Toro y Moi »…
J’ai vu que tu as suivi une session de cours de lettres. Comment est-ce que tu écris tes textes ?
Ce n’est pas toujours calculé, ça vient souvent de façon organique. Il y a toujours un petit côté chez moi qui veut utiliser la langue que je parle tous les jours. D’autres fois je m’inspire de la littérature. Par exemple on pourrait parler longtemps de Faust [Goethe]. Il y a aussi un gros background de poésie qui utilise le joual (dialecte québécois), avec tous les anglicismes que l’on utilise au Québec et qui ont été intégrés à la langue comme chez Gaston Miron. On me dit souvent que je fais du « Franglais » mais en fait tous les mots anglais sont intégrés dans une syntaxe française. C’est un peu comme un phénomène d’appropriation.
Est-ce qu’il y a des genres qui t’ont plus influencés que d’autres dans la culture musicale que tu t’es forgée ?
Je suis un grand fan de Hip-Hop depuis longtemps, j’ai grandi avec Future. Il y a des artistes comme Tyler the Creator ou Frank Ocean qui sont des vraies sources d’inspiration. Après, mes parents sont assez jeunes, ils écoutaient beaucoup Moby. Le premier album que j’ai acheté dans ma vie c’est Demon Days de Gorillaz.
Aujourd’hui, il est de plus en plus rare de voir des artistes se produire sur scène accompagnés de vrais instruments. Toi tu joues avec une batterie, un saxophone et un clavier. C’est important de garder un contact avec ce côté plus instrumental ?
Félix Petit, le saxophoniste, est un peu mon bras droit dans la création musicale. Les gars avec qui je joue ce sont des « punk de Jazz » , ils disent : « il n’y aura pas de laptop dans ce show là ! ». Si je trouve un son, ils veulent le faire avec leur bras, le mettre dans des MPC et s’organiser pour qu’il n’y ait jamais un ordi sur le « stage ». Parfois l’espace est étroit et c’est un peu compliqué mais bon… Ce format là, il est un peu en perdition aujourd’hui, je vois Voyou tourner seul avec sa gratte et son « laptop », c’est cool, il joue bien! Mais, moi j’aime jouer avec des vraies personnes.
Tu as récemment sorti un EP intitulé « Expansion Pack » et qui reprend les codes graphiques de la pochette de ton album, pourquoi avoir choisi d’assumer une continuité entre ton premier album et cet EP ?
Je suis peut être romantique mais je crois encore beaucoup à l’idée de l’album. Je me suis dit que pour sortir un deuxième album, il faut que je prenne mon temps. Il y’en a qui sortent des albums à la pelle… et qui arrivent à évoluer ou non.
Tu travailles sur des thèmes en particulier pour ton prochain album ?
Quand « To Pimp a Butterfly » [Kendrick Lamar, 2015] est sorti, je me suis dit : « Ca y est, il est là le nouveau son jazz/hip-hop ». Je trouvais ça incroyable que le jazz rencontre un aussi gros public. A ce moment là je venais de commencer les études de jazz et je trouvais ça fou ! Maintenant je vais plus chercher dans des sons électro, une musique un peu « glitch » et je suis aussi un gros fan de guitare classique et latine. Je veux jouer avec les textures électro pour les mettre en réaction avec des ensembles d’instruments à corde ou de cuivres avec des sonorités brésiliennes. Mon père me dit de rester sur ce que je fais parce que ça marche mais je veux continuer à expérimenter (rires).
Les Louanges sera en concert à la Maroquinerie le 5 novembre 2019
Propos recueillis par Jules de Saint-Michel