Musicien mais aussi écrivain, Basile Di Manski développe sa musique depuis 2016. Sorti en 2019, son premier album dénote des influences RnB nouvelles. Nous le retrouvons autour d’un café à Pigalle pour parler de sa musique, du skate et du futur.
Salut Basile, tu as donné, à l’une de tes compositions, le titre de « Less Than Zero », éponyme du roman de Bret Easton Ellis, y a-t-il un lien ?
Oui, tout à fait, c’est le bouquin qui m’a donné envie d’écrire. C’était la première fois que je lisais quelque chose d’aussi brutal et réaliste. J’ai eu le même choc qu’avec L’Étranger (Albert Camus, 1942) où le langage est très simple. Du coup je l’ai acheté dans trois langues.
Avec Transworld (2019) tu signes ton premier album, d’où provient le nom ?
J’ai choisi ce titre car j’ai l’impression que ces dernières années, ce que l’on appelait le futur est devenu le présent. Le temps s’est accéléré d’une manière phénoménale et on est entré dans ce que j'appelle le « transworld ». Beaucoup de limites qui paraissaient indépassables ont été dépassées aujourd’hui… On est dans l'hypermobilité, l'hyperfluidité, les machines deviennent des prothèses, on échange avec elles et elles échangent même entre elles sans avoir besoin de nous. Pour le meilleur et pour le pire. Pasolini a dit : « il n’y a plus d’humains, il n'y a que des machines qui se heurtent ». C’est quelque chose qui mérite d’être noté. On ne se pose pas la question de savoir comment l’humain peut progresser, on se demande seulement comment acquérir plus de pouvoir. Et on n'a pas forcément l'éthique qui va avec.
La presse a parfois présenté la sortie de Transworld comme la mutation d’un son pop vers un son RnB par rapport à tes productions précédentes. Est-ce que tu as l’impression que ces 12 titres marquent un point de rupture entre un avant et un après dans l’histoire Basile Di Manski ?
Pas vraiment, moi j’ai l’impression que ça s'inscrit dans la continuité. Bien sûr les sonorités ont changé, il s’est passé deux ans entre mon dernier EP et Transworld et j’ai écouté beaucoup de rap et d'ambiant, ça a forcément influencé mes productions mais pour moi ce n’est pas un virage parce que mes thèmes restent les mêmes et que ma façon de faire du son n'a pas changé. En revanche, j’ai l’impression de mettre moins de filtres, d’être plus direct.
On ressent clairement l’influence du rap US qui découle des années 90 à l’écoute de certains titres, parfois même du reggae. Comment est venue l’envie de t’orienter vers ces genres musicaux ?
Oui c’est des trucs que j’ai toujours écoutés. Quand on est né dans les années 90, on écoute pêle-mêle plein de choses. Sans être fan de Rock ou de RnB spécifiquement, on prend ce qu’il y a de meilleur… En plus moi j’ai baigné dans la culture skate à fond, le dénominateur commun en termes de musique dans les vidéos qui m'ont marqué, c’était que ça venait surtout de la côte ouest. Il y avait du garage, de la musique électronique, du rap… Avec cet album, j’ai cherché une ligne directrice qui mélange tout ça.
L’album comporte aussi des sons comme « Before the World » qui s’identifient moins au RnB…
Ce morceau, c’était une collaboration avec Jacques, qui lui fait partie d'une scène très électronique, on est dans un registre différent du coup.
Aimes-tu faire des collaborations ?
Je suis plutôt solitaire dans mon appréhension de la musique. Ma musique née dans une forme de solitude qui est très intense. Je vais rarement voir un artiste sur Instagram pour lui proposer un featuring, ce n’est pas trop ma démarche. En fait je collabore surtout avec des gens que j'aime bien. Récemment, j'ai fait une collaboration sur l'album de Victor le Masne, ça sort bientôt et c'est en italien.
Tu as renouvelé ton live en y intégrant un batteur, est-ce que ce nouveau projet t’a amené à évoluer dans tes méthodes de travail, que ce soit en live ou pour la composition ?
Oui bien sûr ! Pendant longtemps, ma méthode de production c’était de bédaver et de faire tourner un truc pendant des heures… Cet album a été un gros challenge. J’ai dû trouver un nouveau procédé pour me trouver une zone de confort où créer ce que je voulais. Je voulais vraiment produire cet album tout seul. Parfois quand tu confies tes sons à un producteur, il muscle le tout de manière assez violente, et en tant qu’artiste tu ne t'y retrouve pas toujours. Je voulais éviter ça donc j’ai travaillé dessus pendant un an et demi, en faisant que ça. C’était intense. Pour ne pas être à court d'idées il fallait se remplir de plein de choses en permanence : écouter beaucoup de musique, aller voir des expos, voir des films, lire.
Es-tu satisfait du résultat quand tu réécoutes l’album ?
Oui… après je réécoute assez peu ce que j’ai fini. Quand j’ai une démo, je l’écoute en boucle avant de dormir. Je fais surtout de la musique pour moi-même, dans un premier temps en tout cas. La musique m’empêche de déprimer et elle me permet de me réinventer. Tout est à la première personne, c’est comme un journal et chaque track est une vision de moi que j’inscris dans le temps, comme un objet que tu poses sur une étagère.
Ton précédant EP, The International Playboy, finit sur une touche électro acide. Est-ce que l’on peut s’attendre à un retour de ces influences dans tes projets futurs ?
Oui, c’est ce que je fais en ce moment même. Plus de kick, des BPM plus élevés et des morceaux plus énervés. Depuis que Transworld est sorti, j'écris aussi des morceaux en français. Ça me permet de découvrir toute une palette de sentiments que je ne pouvais pas exprimer avec l’anglais, une sorte de négativité, de colère qu'on peut apercevoir dans des sons comme « Burning Morning » (In Camera, 2016).
Interview réalisée par Jules de Saint-Michel