À l'occasion de la soirée Populous #5 by Tourtoisie Music, qui aura lieu demain soir au Hasard Ludique, nous avons échangé avec Regina Demina. Si sa musique est parfois qualifiée de "cynique", cette "punk numérique des temps modernes" dépeint la génération 2.0 et ce monde hyper-connecté qui est le nôtre, avec sensibilité et justesse. Avec elle, on a abordé son enfance, son intérêt pour les années 80, et l'amour, mais pas que.

Tu es chanteuse, mais également danseuse, réalisatrice, metteure en scène, … Comment en vient-on à être aussi touche-à-tout ? Y a-t-il un domaine pour lequel tu as une affection particulière ?
J’aime tout ce que je fais. J’ai besoin d’explorer plusieurs médiums, même si, en ce moment, la musique et la scène sont ceux à quoi je travaille le plus. Globalement, j’adore l'interprétation, que ce soit chanter ou jouer ou danser. Pour moi, c’est tout une palette nécessaire en scène, même si ce n’est pas pour tout étaler au max, j’en ai besoin pour me préparer quelque part. J’aime inventer des mondes, ça dépend des moments et des opportunités pour ce qui est de la façon dont je les élabore.
La musique, ça a toujours été une évidence pour toi ?
Absolument pas, c’est quasi accidentel, même si c’était omniprésent, je viens de la danse et du théâtre, ma mère était une pianiste qui a dû stopper sa carrière après un accident. J’ai toujours vécu avec des musiciens, puis j’ai fait de la musique pour mes courts-métrages et mes spectacles et on m’a dit qu'il y avait trop de musique dedans ; j’ai cultivé ce qu'on m’a reprochée comme une sale môme.
Qu’est-ce que tu écoutais comme musique enfant d’ailleurs ? Qu’est-ce que t’ont transmis tes parents ?
Ma mère sans doute, par drame, écoutait très peu de musique, elle mettait tout le temps des chaînes de clips sur le câble, le hit machine, des trucs très pop. Mon frère écoutait du black metal, des trucs de rave et des trucs grunge. J’écoutais ce qu'il écoutait, il avait l’air d’être le bon goût incarné pour moi, il avait 8 ans de plus. En parallèle, moi, j’étais fan de Mylène Farmer surtout, genre obsédée maniaque de 6 à 14 ans. Je faisais aussi acheter, vraiment petite, plein de compiles de chanteuses des années 60 à mes parents, puis Ace of Base et Alizée, des trucs R'n'B et de rap français, limite reggaeton, que j’écoutais en cachette au collège. C’était totalement interdit chez moi, donc méga excitant de récupérer mes CD gravés confisqués, foutus à la poubelle. Plein de trucs super décousus, en vrai. Je me suis radicalisée au lycée, sur la techno et les trucs emo, avant de tout remélanger.
En parlant de tes parents, tu es la fille de réfugiés politiques russes exilés en France. C’est quelque chose qui a marqué ta musique (et ton travail en général), ou pas du tout ?
Oui, bien sûr, je suis partie avec eux. Ma mère est juive Ukrainienne et mon père était orthodoxe, ingénieur militaire sibérien. Déjà, c’est un couple mixte, j’ai été baignée dans deux religions. Je suis super athée mais j’ai baigné dans les superstitions et les esthétiques de l'un et de l’autre. Je mettais des dessins animés russes aussi, c’est un graphisme, une esthétique particulière.
Aujourd’hui, tu écoutes des artistes ukrainiens/russes ? Si oui, lesquels nous conseillerais-tu ?
Oui, j’essais régulièrement de trouver des trucs, j’avais fait cette mixtape, ça donne un bon aperçu.
Concernant ta musique, on la décrit parfois comme « cynique », d’autres fois comme remplie « d’humour ». Quels mots poserais-tu, toi, sur ton propre travail ? Et que penses-tu de ces deux-là ?
Je ne dirais pas cynique, mais oui il y a beaucoup d'humour noir, car il y a plein de choses dont je préfère rire plutôt que pleurer, pour ne pas me tirer une balle ou commettre un attentat nihiliste. Pan !
Ton premier EP s’intitule d’ailleurs L’Été Meurtrier, une référence directe au film de Jean Becker. Qu’est-ce qui t’intéressait dans le personnage d’Isabelle Adjani ? C’est une manière de prendre le pouvoir en tant que femme ? Ou de signer un acte de vengeance ?
J’aime tant ce personnage, oui, c’est un clin d’œil, elle est ravissante, sexy, toxique, enfantine, et en même temps, pas Lolita. Un peu vulgaire dans le sens le plus cute du terme. Et oui, c’est un acte de vengeance, cet EP est né d'un été où il m’est arrivée un truc horrible. Je sais que la personne maléfique a dû l’écouter et comprendre que ma vengeance était artistique, que j'ai produit quelque chose qui m’a fait avancer de son acte destructeur, pendant qu'il rage dans son coin et a sans doute chopé un cancer du cœur et des testicules.
D’ailleurs, je trouve que l’EP est habité par des sonorités très années 80. C’est une décennie dont tu te sens proche, musicalement, voire artistiquement parlant ?
Le premier EP, oui. J’aime la Cold Wave, j’aime le punk, l'industriel et la pop 80’s. J’aime le cinéma de cette époque parfois, mais je ne m’associe pas à cette époque du tout. Je ne suis pas puriste, on vit au 21ème siècle, à l’ère d'Internet, je trouve ça sclérosant au possible de s’affilier à un courant artistique d’un temps où je n’étais même pas née. Je ne suis pas nostalgique. Je vis maintenant avec ce que notre époque a de beau et de terrible, et de riche de toutes les autres.
Autre thème que l’on retrouve beaucoup dans ton travail : l’amour. Est-ce que tu dirais que l’amour est le « thème suprême » de l’art ? Celui qui éclipserait tous les autres ? Pourquoi ça t’intéresse particulièrement de l’explorer ?
J'aimerais répondre un truc super intelligent et référencé, mais c’est juste que je me lève et me couche en y pensant, c’est ce qui me fait avancer et me tue à la fois vingt fois dans la même journée.
Quel regard portes-tu sur l’amour aujourd’hui, à l’ère du ghosting, des dates via Tinder, du stalking sur Instagram, ... ? Est-ce que ça t’arrive d’imaginer vers quelles nouvelles formes l’amour pourrait évoluer ?
Ouh la la, je ne théorise pas tant intellectuellement. L’amour, c’est de l’émotion, et c’est de la chimie, ça me dépasse moi même. C’est pour ça que je travaille autour, parce que ça me fait m’envoler et me met six pieds sous terre. Je lis beaucoup dessus, des essais, des livres. Je cherche à comprendre, je ne comprends rien. J’écris des chansons, tellement ça m’empêche de tenir en place. Oui, on est à une époque où c’est sans doute déstabilisant, mais je ne connais que celle-là, je n’ai traversé que la nôtre, à part dans les livres, les contes et les films. Mais, ce que j’y projette, ce sont mes émotions d’aujourd'hui.
En parlant du futur, à quoi ressemble celui de Regina Demina ?
Mon futur est bien sûr merveilleux, heureux et surprenant, et je m’apaise pour créer toujours plus électriquement et mieux avec des gens doux, sensibles et doués. Ou alors, je saute par la fenêtre, bye.
Y a-t-il quelque chose que tu voudrais ajouter, un dernier mot pour la route ?
À bientôt ! Mon album 1,2,3 Hystérie! sort au printemps.
Interview réalisée par Lolita Mang