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Ichon : le bon gamin est devenu romantique

En 2017 sortait Il suffit de le faire, une mixtape qui installait Ichon comme l'un des rappeurs les plus innovants d'Île de France. Aujourd'hui, il revient avec Pour de vrai, un premier album intimiste et doux, submergé par le doute et l'introspection. Chronique.

© Keffer

J’ai des doutes parfois / Est-ce que j’peux compter sur moi ? clame Ichon – ou Yann-Wilfried Bella Ola de son vrai nom – dans le morceau “911”, extrait de son premier album, Pour de Vrai. Si certains se rappellent de Il suffit de le faire, sorti en 2017, oubliez tout, ou presque : il s'agissait là d'une mixtape, non d'un album. La différence est légère, mais elle est là, et chère au cœur de nombreux rappeurs. Si la mixtape est un agrégat de plusieurs morceaux plus ou moins cohérents, l'album, lui, porte une dimension bien plus complète, cohérente et réfléchie. Et dans le cas de Pour de vrai, il aura fallu un retour dans la maison d'enfance, une thérapie et deux ans d'isolement pour venir à bout de l’opus. Un disque particulièrement ambitieux, synthétisant les inspirations riches et variées d’un artiste qui a pris de la hauteur, mais sans jamais oublier ses racines. 


Le rappeur préféré de ton rappeur préféré


La voix est grave, le rythme lent et désarticulé. Le timbre, quant à lui, n'est pas sans rappeler un certain Oxmo Puccino. Nous sommes en 2014, “Blue” ouvre Cyclique, premier EP du jeune Ichon, 24 ans à l'époque. Epaulé par ses comparses du collectif Bon Gamin, Loveni et Myth Syzer, il impose vite un univers très personnel et sans compromis. La liberté des rimes et l’audace des productions, mis en images par des clips particulièrement innovants - foncez voir celui de “#FDP” (sorti en 2016) si ce n’est pas déjà fait - confèrent au rappeur de Montreuil une certaine aura. Ichon est cool et semble l’avoir toujours été ; dans son art comme son attitude, un côté parisien branché s’acoquine constamment avec une certaine classe à l’américaine : “le Bon Gamin s’habille avec style, parle bien aux filles et sent bon”.


À cela s’ajoutent une gestuelle atypique et une folle énergie sur scène : les flows et les corps zigzaguent, ralentissent ou accélèrent à loisir, au risque d’en perdre certains. Entre 2014 et 2017, les morceaux et projets d’Ichon et sa clique abreuvent le rap indépendant francophone, sans pour autant percer les sphères du grand public. Des titres puissants et originaux, dont une poignée de featurings avec d’éminents collègues comme Prince Waly ou Ateyaba (anciennement Joke), des concerts mémorables et un charisme indéniable… A cette période, Ichon est le rappeur préféré de ton rappeur préféré. 



Avec le piano je peux m'envoler tout seul


Rappeur, certes. Mais Ichon n’aime pas être réduit par des étiquettes ; dès ses débuts, il s’amuse à déconstruire son ADN hip-hop pour la fluidifier. Les mélodies envahissent ses refrains et couplets, les arrangements prennent de la place, les frontières entre les genres se brouillent progressivement avant de se rendre à l’évidence : le bon gamin est également un chanteur passionné. L’ambiance ‘80s de “Si l’on ride” avec Muddy Monk, ses trois apparitions sur l’excellent album Bisous de Myth Syzer où il raconte ses histoires en chanson (notamment avec le presque tubesque “Le code”)... Pour de vrai, qui convoque désormais PH Trigano aux arrangements, flirte d'ailleurs constamment avec la pop US, naviguant entre des sonorités envoûtantes sauce R'n'B et des grooves entêtants à la Kaytranada.


Et même si Ichon joue les crooners du 93 depuis bien longtemps déjà, jamais il n'avait été si proche d'un Daniel Balavoine (toutes proportions vocales gardées), ou d'un Michel Berger – il suffit d'écouter Encore un peu pour en être convaincu. Pour réaliser son premier album, il fuit Paris, et se réfugie chez ses parents, au sein de sa chambre d'enfance. Au cœur de Montreuil, il se lance dans l'apprentissage du piano, en même temps qu'il se rend voir un psychologue, et qu'il participe à des groupes de parole : Avant le piano j'en avais marre de la musique. Je ne la touchais pas je ne maîtrisais rien. Maintenant je sais ce que je fais et je suis libre de créer quand je veux où je veux. C'est comme quand on est fraîchement amoureux de quelqu'un. Avec le piano je peux m'envoler tout seul” déclare l'intéressé. 

Ichon, le dernier des romantiques ?


Entre poésie et introspection, Ichon serait-il le dernier des romantiques ? Poursuivant l'héritage laissé par un Lamartine ou bien par un Hugo, le rappeur de Montreuil mêle la solitude des Méditations aux amours impossibles ainsi qu'aux ambitions sociales déçues de Notre Dame :  “À l’internat, j’étais le mec bizarre, à Paris aussi. Avant, ça me faisait mal. Aujourd’hui, je suis un mec bizarre et tant mieux” déclarait récemment le rappeur au Monde. Tout comme l'écrivain romantique se voit comme un élu, un être d'exception, Ichon se fait prophète dans “Passe le message”, morceau écrit pour un ami en pleine rupture. 




Lourd de connotations religieuses, Pour de vrai oscille entre confessions en piano voix avec “Encore un peu et évocations de mythes antiques, comme l'ouroboros, le serpent qui se mord la queue, dans “Passe le message” – encore lui. Ses interprétations sont nombreuses, mais l'on retiendra, dans ce cas précis, celle de l'autodestruction, qui donne lieu à la renaissance. Autodestruction devenue impérieuse face à un monde qui succombe à l'horreur : “J'entends que des trucs horribles / Combien ils ont tué de gens / Combien ils ont fait de streams” sont les lamentations qui ouvrent “Litanie”, alors que des vagues éclatent sur le rivage en fond sonore, comme la manifestation d'un monde qui, malgré sa dureté, ne s'arrête pas de tourner. "La vie c'est compliqué", mais c'est ça qui la rend belle.


Pour de vrai [911], disponible. 


Par Elie Chanteclair et Lolita Mang




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