Sous le feu des projecteurs, devant une salle comble, les musiciens et musiciennes fascinent toujours, de l'Olympia à la Cigale. Il est facile d’oublier que derrière les artistes, se cache une équipe : les ingénieur.e.s, manageur.se.s, réalisateur.rice.s, attaché.e.s de presse ou encore stylistes, dont le travail est tout aussi important, bien que trop souvent dans l’ombre. Afin de mieux comprendre comment fonctionne l’industrie musicale, et pour rendre un certain hommage à ces nombreux.se.s professionnel.le.s, découvrez la rubrique 99%.
Le 24 février dernier sortait le morceau "Can’t Get You", de Saint DX et Ménage à Trois, accompagné d’un clip réalisé par Hannah Rosselin. A travers celui-ci, la réalisatrice nous offre des scènes sensuelles mettant en scène des corps réels et touchants. Ce clip est une respiration loin des clichés dont nous sommes habituellement abreuvés. Rencontre.
Salut Hannah. Est-ce que tu pourrais commencer par te présenter ?
Je suis réalisatrice de clips, de publicités et de documentaires. Je suis en train d’écrire une série de fiction, donc je découvre encore une autre facette de mon métier. Je touche un peu à tout. Et maintenant, je suis représentée par une entreprise qui s’appelle Division avec laquelle je travaille exclusivement.
Après ton bac, tu es partie vivre au Cambodge. Est-ce que tu savais ce que tu allais chercher en partant ?
Non pas vraiment. En fait, j’ai toujours pris beaucoup de photos et quand je suis partie là-bas, j’ai eu l’opportunité de faire un stage avec un réalisateur franco-cambodgien qui s’appelle Rithy Pahn et que j’adorais. J’ai pu faire ce stage dans le centre culturel qu’il a créé à Phnom Penh. Je suis partie dans l’idée de tout apprendre de la photographie et du cinéma. A cet âge-là, je voulais être photographe de guerre, ce que je ferai probablement plus tard. Ce métier me fascine parce qu’il y a un pouvoir sur l’image très fort, à la fois du point de vue artistique et dans le choix de l’information transmise.

Oui, on voit dans ton travail que cette dualité reste centrale, que l’image est un moyen de faire passer des messages.
Oui exactement, je pense que je ne ferai jamais de publicités de parfum avec des filles au corps cliché. Il ne faut jamais dire jamais (rires), mais disons que j’essayerai toujours d’amener un casting avec lequel je me sens à l’aise par exemple.
Ça nous amène à ta collaboration avec Saint DX pour le clip de "Can’t Get You" ? Comment cela s’est-il passé ?
Aurélien [Saint DX, ndlr] m’a contacté en ayant déjà un projet de clip en studio, ce qui n’est pas quelque chose qui me plaît. Je ne consomme pas ce genre de contenu. Je voulais faire un clip, et quand j’ai écouté son morceau, ça m’a tout de suite fait penser à des scènes de sexe donc je lui ai proposé cette idée. Comme on avait une envie commune de travailler ensemble, on a réussi à tomber d’accord dessus et on a créé le clip.

Une fois que vous avez été d’accord sur la vision du clip, comment as-tu travaillé ?
C’est parti d’un événement personnel, j’ai eu un accident de moto très grave en janvier 2020. Ça a été très compliqué de retrouver un rapport à mon corps et à l’autre qui soit sain. C’est quelque chose d’intime que je suis presque obligée de mentionner parce que c’est l’origine du clip. Je cachais mon corps et comme c’était en plein confinement, je ne pouvais voir personne, ce qui était encore plus difficile. Donc j’ai voulu faire ce clip dans lequel on voyait des personnes faire l’amour, et j’ai voulu aller plus loin en montrant des personnes qu’on ne voit pas habituellement. Et ça m’a fait du bien, c’était salvateur, je n’ai plus honte de mon corps avec ses cicatrices aujourd’hui.
Est-ce que tu peux nous parler du casting de ce clip qui joue pour beaucoup dans sa beauté ?
J’ai travaillé avec une directrice de casting qui s’appelle Mayli Grouchka. Elle débute sa carrière mais elle est excellente dans son travail. Elle sait exactement quoi faire, c’est un plaisir de travailler avec elle. Elle a trouvé plein de profils, il y avait une femme avec beaucoup de cicatrices, une autre en surpoids, un homme amputé… En parlant avec toutes ces personnes j’ai réalisé qu’on était tous dans la même situation, bien qu’on ait des expériences différentes. On avait comme point commun de devoir assumer qui on est. Nos singularités font que nous avons, de fait, des sexualités différentes de celles des personnes hétéros, blanc.he.s qui n'ont pas ce genre de problème. Je pense que ça m’a fait du bien, et aux acteurs aussi, qui m’ont remercié en voyant le clip.
Est-ce que tu peux nous dire un peu comment il a été accueilli ?
On a dit que c’était un travail engagé. Je savais très bien dès le début qu’on allait dire que c’était un clip inclusif, qu’il allait être placé dans cette catégorie.

Est-ce que c’est ce que tu voulais ?
Non, parce que je ne veux pas être mise dans cette case de réalisatrice engagée, il y a des personnes qui le sont plus que moi et qui ont ça comme vision centrale dans leur travail. Je ne veux surtout pas m’approprier cette carte-là. Et surtout, je ne veux pas faire d’injonctions aux artistes de s’engager. Je me retrouve dans des choses qui répondent à des expériences que j’ai vécues. Je pense que ce que l’on fait, on le fait d’abord pour nous. En revanche, je fais en sorte de montrer des vraies personnes dans mes réalisations. Cela est rendu possible par la période que nous vivons, dans laquelle les marques nous laissent la possibilité de le faire. Je profite de cette situation pour raconter ce que je veux.
Tu penses que c’est dû à quoi, cette période plus ouverte d’esprit ?
Je pense que #metoo nous a beaucoup aidé, ça a ouvert la boîte de Pandore. Maintenant on voit des tote bags avec des inscriptions féministes, ça devient un peu la vache à lait du capitalisme mais grâce à ça je peux proposer des castings qui me plaisent. Mes idées peuvent être plus en phase avec ce que je suis aujourd’hui.
Dans un de tes derniers posts Instagram tu dénonces la censure et le puritanisme des réseaux sociaux. En quoi le clip a été affecté ?
Il a été enlevé de Youtube pendant 4 jours, j’aimerais qu’on m’explique en quoi ce clip est vulgaire et problématique. Ce n’est pas un clip choquant, je pourrais le montrer à des personnes très jeunes sans problème. Je préfère que des adolescents regardent ça plutôt que du porno mainstream. J’aimerais qu’il leur donne des représentations de la sexualité plus en phase avec la réalité. Ce qui m’agace c’est aussi la censure des tétons sur Instagram, c’est du puritanisme sélectif. On doit flouter ceux des femmes, pas des hommes…
Propos recueillis par Agathe Pinet