Armé d'un rap violent et conscient, le rappeur bruxellois Frenetik enchaîne les punchlines puissantes et les flows techniques sur des instrus trap proches des standards actuels. Le 22 mai, il a sorti son premier EP Brouillon : une excellente carte de visite pour un rap moderne qui connait ses classiques.

En 2020, il faut réapprendre à creuser. En surface, les auditeurs de rap sont inondés : les sorties abondent chaque vendredi, avec des têtes d’affiches devenues des rentiers un brin paresseux, et des rookies prêts à tout – mais surtout au conformisme – pour se tailler une part de ce gros gâteau qu’est désormais l’industrie du hip-hop francophone. Car on ne l’apprend plus à personne : le rap fait vendre. Beaucoup vendre. Mais, chose inévitable pour un art devenu mastodonte commercial, il commence également à tourner en rond et à perdre de son mordant. Si d’excellents projets parviennent toujours à nous mettre de grandes gifles, comme les incroyables récents albums de SCH, Laylow ou encore Dinos, le fameux triptyque "quartier-sexe-bricave", qui domine les charts hexagonaux depuis maintenant plusieurs années, s’essouffle méchamment.
C’était sans compter sur quelques jeunes loups plus ou moins tapis dans l’ombre. Et décidemment, les Belges sont très forts pour attaquer là où on ne les attend pas. Car sans vouloir l’associer à un "rap du plat-pays", désormais inclassable tant il est divers et varié, Frenetik est un Bruxellois pur jus. Dans Brouillon, son premier EP sorti le 22 mai dernier chez Jeunes Boss Records, le jeune rappeur a su parfaitement sublimer l’héritage de sa ville. Entre la cruauté écorchée-vive d’un Damso des débuts et le regard acerbe de Kobo, il mêle violence, intelligence et sensibilité dans six titres flirtant constamment avec le hardcore et le conscient.
Six titres animés par une plume hargneuse, où les punchlines mémorables s’entrechoquent sans interruption pendant une courte vingtaine de minutes. Les thèmes sont connus de tous : egotrip, déboires sentimentaux et spleen de dealeur portent le disque comme ils en ont porté des centaines, mais les angles d’attaque de Frenetik sont toujours précis et créatifs : "Ma chérie, je ne suis pas sauvage, moi, la violence je l’embellis / J’débarque, je sonne, j’me fais passer pour le fleuriste et j’te plante avec un mbeli". La brutalité des images, moins potaches mais tout aussi efficaces et surprenantes que le Kaaris d’Or Noir - où s’entremêlent argot, chiffres cryptiques et vocabulaire lingala - donnent à son écriture une saveur qui pue le sang et le bitume. Frenetik ne fait pas de compromis, prêt à choquer quand l’envie lui en prend, s’appuyant sur un solide bagage rapologique. "Ici les murs ont des oreilles, dehors, les trottoirs ont des chattes" ressort notamment du couplet unique d’ "Ombre" ; sur une rythmique proche d’un beat à l’ancienne, le rappeur montre qu’il connait ses classiques.
On retrouve d’ailleurs dans l’EP une rage d’antan, celle du rap des années 2000. Un rap qui vendait moins et qui dénonçait plus ; dans la lignée de Zikxo ou Soso Maness, les textes de Frenetik rapprochent l’ancien et le nouveau monde. Lunatic, Kery James et Sinik sont mélangés avec l’énergie de la génération trap, mis en musique par les productions violentes mais léchées de beatmakers comme Guapo du Soleil ou Ravaillac, connus pour leurs faits d’armes avec Niska ou Koba LaD. Si quelques ajustements permettraient au Bruxellois d’encore progresser et affirmer sa proposition – on pense notamment au trop générique "Grammes" –, ce premier EP est une base très solide pour un rap dur et social, capable – comme l’exige notre époque - de s’armer d’une image soignée et de beats efficaces pour élargir son public. Le renouveau est-il en marche ?
Par Elie Chanteclair
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