“Salut, c’est encore moi” : ainsi débute le premier album de Silly Boy Blue, Breakup Songs. Comme un coup de téléphone dans la nuit, brisant le silence. Comme une longue lettre d’adieu après une rupture, aux couleurs multiples et aux productions nerveuses.

“I will love you until you call the cops on me” (“Je vais t’aimer jusqu’à ce que tu appelles les flics”), chantait Lorde dans “Writer in the dark”, complainte douloureuse tirée de son deuxième album Melodrama (2017). Silly Boy Blue, ou Ana Benabdelkarim à la ville, cite volontiers la chanteuse néo-zélandaise pour évoquer son propre rapport à la rupture amoureuse. Car de rupture, il est question dans son premier disque, Breakup Songs, qui sortira ce vendredi. En douze titres, l’artiste explore les affres de l’abandon et des déceptions sentimentales, avec une palette d’émotions d’une rare complexité. Jolie manière d’affronter un thème mille fois éculé dans la musique et dans les arts.
Cinquante nuances de blue(s)
Nos pensées si intimes, si personnelles, ont déjà été pensées un nombre infini de fois. Ainsi l’écrit Nietzsche, prouvant qu’au fil de nos lectures et de nos découvertes, nous remarquons que rien n’est inédit. Tout a déjà été pensé et souvent, bien mieux formulé. L’idée trouve un étrange écho dans le titre du premier album de Silly Boy Blue, Breakup Songs. S’il y a bien une chose dont déborde l’industrie musicale, c’est de chansons de rupture, toutes aussi larmoyantes les unes que les autres. Ne prenons que la dernière décennie pour exemple : de Lana del Rey avec le tragique Ultraviolence à Tyler, The Creator et son Igor écorché vif, de nombreux disques se sont construits sur l’échec amoureux. Comment, alors, réinvestir un champ mille fois labouré ? Tout au long de son disque, Silly Boy Blue offre à ses auditeur·ices mille clefs de compréhension. La colère, le doute et la joie sont tout autant d’émotions, comme tout autant d’étapes, que nous traversons en faisant le deuil d’une relation. Ainsi, si la compositrice met un point d’honneur à explorer le mal être le plus dévastateur, elle déniche aussi la lumière que l’on peut trouver dans les moments les plus sombres. “Teenager” porte à ce titre la phrase la plus terrible du disque : “I’ve hated myself more than you’ll ever do” (“Je me suis détestée plus que tu ne le feras jamais”), tout en comportant des éclats d’espoir et un début d’acceptation de soi.
A Ghost Story

Avec Breakup Songs, Silly Boy Blue n’est pas à son coup d’essai. En octobre 2018, la chanteuse et musicienne sortait But You Will, un EP de quatre titres (qui lui permettait, un an plus tard, de remporter le tremplin des Inouïs du festival le Printemps de Bourges). Un premier disque plus pop, plus triste, et surtout moins produit. Car avec Breakup Songs, ce sont deux nouveaux invités qui font leur apparition dans la musique de Silly Boy Blue : les producteurs Apollo Noir et Sam Tiba (croisé dans le quatuor Club Cheval). Deux hommes de l’ombre issus du monde de l’électronique, qui donnent au disque un versant plus nerveux et violent – en témoigne l’exaltant “200 Lovesongs”, sur lequel on secoue déjà de la tête. Comme de nouveaux fantômes, plus bienveillants que ceux chantés par Ana Benabdelkarim, pour révéler toute la puissance et l’ambivalence contenues dans ces douze titres.
De fantômes, il en est en effet beaucoup question dans les lignes de Silly Boy Blue. Fantômes de ses amours passés, d’abord, comme dans “Be the Clown” : “You’ll be the ghost of all my songs” (“Tu seras le fantôme de toutes mes chansons”). Mais au fil du disque, difficile de comprendre qui hante qui, tant finalement, les esprits s’entremêlent dans une valse sournoise. “You’ll be the one I’ll always haunt” (“Tu seras celui que je hanterai toujours”) assène la chanteuse dans “Hi, it’s me again”, oscillant entre menace et complainte désespérée. Impossible de savoir pour qui cette possession, au sens spirituel du terme, est une malédiction. Doucement, les petites histoires macabres de Silly Boy Blue deviennent un prétexte pour évoquer l’obsession dévorante, celle qui survient quand l’autre est si présent qu’on l’a dans la peau. Ce n’est pas un hasard si l’œuvre baroque de l’artiste rappelle autant l’univers de David Lynch, cinéaste de l’étrange et de l’obsession par excellence. Mais tandis que les autoroutes étasuniennes de Lynch défilent à l’infini dans la nuit noire, les chansons de Silly Boy Blue parviennent toujours à retrouver la lueur de l’aube.
Lolita Mang
Silly Boy Blue [Columbia/Sony Music], disponible.