Après deux projets prometteurs, l’éponyme Bolides (2019) et la mixtape Boys & Girls, Vol.1 (2020), Bolides s’élance un peu plus sur la voie du “boys band sensible”. Le groupe, avec Samson au chant et à l’écriture, Chris et Jo aux productions, dévoile à présent un premier EP intitulé Coeur vagabond. A la fois hybride et sensible, voici que Bolides s’attaque sans faux semblant ni prétention à l’idée de la masculinité et à ce que doit être un homme aujourd’hui. Rencontre.

Je crois savoir que vous jouez de la musique ensemble depuis pas mal de temps. Vous avez d’ailleurs pratiqué plusieurs styles, du rock à la pop. Comment est né Bolides dans tout ça ?
Samson : C’est une histoire assez ancienne. Jo et moi nous sommes rencontrés quand on avait cinq ans, à peu près. On a rencontré Chris au collège et on a commencé à jouer ensemble, dans un groupe qui s’appelait Ruby Cube. On a pas mal tourné, on a sorti un album. C’était de la pop en anglais. À la fin de ce projet, on a eu envie de faire autre chose. J’avais envie d’écrire en français. Nos influences avaient aussi changées. On écoutait un peu plus de hip-hop, un peu plus de la scène émergente francophone justement et on avait bien envie de s’inscrire dedans. Donc, on a monté Bolides tous les trois, dans l’idée que Chris et Jo soient plutôt producteurs, et que j’écrive sur les productions.
Jo : J’étais en train de réfléchir à une histoire plus fun… On s’est rencontrés, on se battait dans un bar et il y a un ours qui est arrivé... Mais l’ours ne savait pas jouer.
C’est vraiment ce qui marque le début de la formation, le moment où vous passez de l’anglais au français et vous vous tournez vers des sonorités plutôt hip-hop / trap, jusqu’à créer votre propre sorte de “R’n’B pop en français”.
S. : C’était un peu l’idée. On a été inspiré par le morceau “Le Code” de Myth Syzer, feat. Bonnie Banane, Ichon & Muddy Monk. C’est un peu la première fois que j’écoutais du R’n’B en français. Je trouvais que le côté cheesy du R’n’B était ultra assumé, et pourtant, cela ne me gênait pas du tout.
Chris : On a quand même grandi dans les années 2000, où il y a eu beaucoup de R’n’B : Kamaro, Tragédie… Nos madeleines de Proust, mais ça restait très inassumé.
J. : Doucement avec Kamaro par contre !
S. : On a mis du temps avant d’admettre que ce n’était pas si mal. Le but, c’était de revenir vers ça pour se l’approprier, même si je ne dirais pas qu’on fait foncièrement du R’n’B. On a des influences R’n’B. Le premier morceau qu’on a écrit, c’est “24h”. C’est la première fois que j’écrivais en français. Pendant les premières prises voix, on se regardait, on explosait de rire en pensant “c’est pas possible”. En français, les mots peuvent peser très lourd. Il y a des textes traduits de l’anglais au français qui deviennent pathétiques… Donc j’ai essayé de garder une forme de légèreté, de fluidité.
C. : C’était assez nouveau, à la fois pour Sam qui changeait complètement de registre et pour nous, qui composions pour le live. Il y a quand même une certaine légèreté dans l’anglais, surtout dans la pop anglaise que l’on faisait.
Vous enchaînez rapidement les projets, avec, en 2019, le prometteur Bolides. S’ensuit, début 2020, la mixtape Boys & Girls, Vol.1, un ensemble de featurings qui réunit bon nombre d’artistes de la scène émergente francophone. Vous dévoilez à présent Cœur vagabond, votre "premier disque", comme vous aimez à l’appeler. Quelle différence faites-vous entre les deux précédents projets et ce fameux “premier disque” ?
S : Pour les premiers projets, on avait envie de sortir les morceaux au compte-goutte pour voir comment le public réagirait. C’était agréable de travailler comme ça parce que ce n’était pas du tout engageant. On a sorti des morceaux qui ont très bien marché, d’autres sur lesquels les gens étaient un peu moins réceptifs...
C : Dès le début, il y avait ce truc-là de sortir des choses un peu différentes pour ne pas s’enfermer. Le second projet, surtout, est un regroupement de singles. À la base, l’idée, c’était de pouvoir travailler avec d’autres artistes et de rencontrer d’autres gens à travers la musique : Oscar [Emch], Ehla, Kendra, Hyacinthe…
S : Cœur vagabond, c’est un projet sur lequel on bosse, de manière transversale, depuis plus d’un an. C’est vraiment le premier projet qui va sortir sur lequel on a réfléchi du début à la fin. C’était important pour nous de dire ce qu’on aimerait que Bolides soit.
J : Et puis, de se trouver aussi d’une certaine manière. C’est vraiment le projet que l’on considère comme notre premier EP. Tout y est plus réfléchi, plus cohérent. Il y a une ligne directrice dans le son, dans les textes…
Si l'on s'intéressait un peu plus à l'écriture et aux paroles, justement. Vos chansons parlent généralement de relations, de drague, de sexe. Elles dressent parfois ce portrait du dragueur faux briseur de cœur, sans pour autant être dénuées d'un certain sens de la dérision. Avec Cœur vagabond, vous allez bien plus en profondeur et abordez “des trucs auxquels on évite de penser” habituellement, quitte à laisser le second degré (légèrement) de côté...
J : Le perso du dragueur, c’est un peu l’image que Sam renvoie de base aux inconnu.e.s, donc c’était bien de commencer par là.
S : C’était aussi une manière de jouer là-dessus. Le mec qui se prend un peu au sérieux, mais pas vraiment. [Cœur vagabond], c’est un projet un peu plus sincère et un peu moins pudique. Parce que je suis quelqu’un de pudique. C’est récurrent, le second degré. Je pense que ça fait partie de moi. Ces chansons représentent une manière de réfléchir à des choses un peu plus profondes. Je dis des choses dans ces morceaux que je n’ai jamais dit à voix haute à des potes. J’essaye d’effleurer mes failles. C’est une manière de s’affirmer aussi. Même si ça n’apparaît qu’en toile de fond dans cet EP, on est des mecs, on n’est pas censé parler de ce qui ne va pas. Je pense que le fait de devoir parler de soi, de ce qui nous touche et de ce qui nous fragilise, c’est un début de processus que j’ai essayé de mettre en place avec Cœur vagabond. Mais je pense que je ne suis qu’au début de ce cheminement.

“Toujours draguer des filles, / Mais pas montrer mes failles / Fallait cacher les larmes surtout pas j'avais honte / J'avais peur que tu t'en ailles”. Est-ce que vous avez l’impression de déconstruire un concept de masculinité qui prévaut encore aujourd’hui, à travers le titre “Alpha” ?
S. : Je ne sais pas si on le déconstruit complètement. On a du chemin à faire et on en est conscient. C’est déjà un début. Je pense que j’ai plein de choses à déconstruire. Ce serait mentir que de dire qu’on est des mecs complètement libérés de ça. Je suis sûr qu’il y a des gens qui diraient que mes textes sont un peu machistes. Je fais attention. On a déjà changé des paroles parce qu’on pensait que c’était du second degré…
Il y a cet autre titre dont les paroles résonnent en nous, c’est “Adèle & Moi”. Que symbolise cette inaccessible Adèle, cette Adèle qui n'existe pas vraiment ?
S. : Je n’ai pas envie de dire que ce n’est pas un morceau sur une fille, parce que j’aime bien l’idée que l’on puisse l’écouter en pensant à ça. Mais c’est peut-être aussi un morceau sur autre chose : la recherche d’un idéal ou d’une âme sœur… Pour nous, ce serait un peu la recherche du succès et des spotlights. Mais le bonheur à travers ça n’existe pas non plus. C’est un fantasme, en fait. Ça a l’air complexe comme ça alors que le morceau est très léger. En tout cas, non, Adèle n’existe pas.
Enfin, on remarque également une évolution assez marquante côté visuel. Pour ce troisième projet, vous mettez de côté les références à l’univers de l’automobile, que ce soit sur la pochette de l’EP, réalisée par la talentueuse photographe Elisa Grosman, ou dans le clip de “Alpha” (clip réalisé par Ophélie Thiébault, entièrement tourné en plan-séquence à la pellicule). Comment est-ce que vous expliquez ce changement ?
S. : C’est vrai que pas mal de gens avec qui on a bossé ont tenté de nous mettre en scène avec des motos, dans des voitures… On a joué le jeu parce qu’on trouvait ça marrant et qu’on laisse de la liberté aux gens avec qui on travaille. On a trouvé Elisa... On cherchait vraiment quelqu’un qui incarnait ce truc un peu engagé.
J. : On cherchait quelque chose d’un peu crade, un peu provocant… On n’a travaillé essentiellement qu’avec des filles d’ailleurs.
C. : Pour l’artwork, Sam et Jo avaient déjà une réflexion en tête. En termes de références, ça allait de Tyler the Creator à David Bowie. Pour la photographie, Elisa savait exactement ce qu’elle voulait. On a souvent beaucoup d’idées sur les visuels et les clips, mais on a besoin d’avoir des gens qui canalisent ça. Le stylisme, le maquillage…
Un mot pour la fin ?
S. : Un Boys & Girls 2 ? On aimerait bien. On a déjà terminé pas mal de titres. On aimerait élargir à la scène anglophone aussi. C’est un projet qui est prêt depuis un moment, on a envie de le sortir quoi qu’il arrive. On va essayer de le défendre sur scène… Ca va être bizarre, mais on va voir comment ça se passe pour la suite.
J. : Ce n’est pas l'idéal, mais il faut continuer.
C. : Et en tirer le maximum.
Cœur vagabond est à écouter et réécouter ici. En attendant de pouvoir voir Bolides en concert, rendez-vous à leur Release Party ce Vendredi 18 septembre à 19h, au Consulat (Paris 11).
Propos recueillis par Laura Gervois.