Chez Tourtoisie, on aime autant danser dans les salles de concert que s’asseoir au fond d’un siège moelleux devant un écran géant. En prêtant toujours une oreille attentive au contenu audio des films, une fière équipe de frondeurs est heureuse de vous présenter B.O.BINES, la branche cinématographique de Tourtoisie. Cinéma indépendant, bandes originales renversantes, compositeurs émergents… C’est avec grand plaisir que chaque mois, nous vous partageons nos coups de cœurs musicaux du grand ... et du petit écran .
Alors un peu à la ramasse sur les B.O qui ont marqué ce mois-ci ? B.O.BINES te prend la main et t'invite à plonger au coeur de ce qui a fait l'actualité ciné-musique de ces derniers temps à travers notre BEST OF des B.O du mois.
#1 - La Nuée de Just Philippot - B.O de Vincent Cahay

La Nuée, premier long métrage de Just Philippot labellisé "Cannes 2020", s’impose dans la catégorie des films de genre français, trop longtemps laissée pour compte. Le réalisateur propose ici une plongée au sein d'un cauchemar agricole sanglant, dans une atmosphère oppressante.
Virginie, veuve et mère de deux enfants, s’est convertie à l’élevage de sauterelles comestibles. Une visionnaire incomprise et en difficulté puisqu’elle ne parvient pas à produire en quantité suffisante pour vivre de son métier. Alors qu'elle se blesse dans son atelier, l'agricultrice découvre l'engrais parfait pour ses sauterelles : le sang humain. Les insectes grossissent comme par enchantement, pondant des larves et se reproduisent par centaines. Le processus horrifique est enclenché et Virginie semble prête à tous les sacrifices pour continuer à nourrir ses petites bêtes, avides d’hémoglobine. À mesure que l’élevage se multiplie dans son jardin, il devient difficile de trouver les ressources suffisantes pour le satisfaire. Le comportement de l’héroïne devient de plus en plus angoissant tant elle semble obnubilée par sa production, jusqu’à prendre des risques inconsidérés, tant pour elle que pour sa famille. Virginie se retrouve prisonnière d'un engrenage qui maintient le spectateur dans une tension continue. Les insectes ainsi présentés en gros plans, assoiffés de sang, révulsent autant qu’ils fascinent. La Nuée propose en même temps une vision critique de l'absurdité des normes de l'agriculture moderne, obligeant à les paysans à investir et à s'endetter, jusqu'à ne plus maîtriser leur outil de production.
Vincent Cahay est l’auteur-compositeur de la bande originale. Habitué des films de genre, il a notamment travaillé sur les films Calvaire ou Alléluia du cinéaste belge Fabrice du Welz. La musique se charge peu à peu d’une teinte de plus en plus angoissante, à mesure que progresse la plongée inexorable de cette famille dans l’horreur. Des synchronisations complètent la bande son avec notamment des musiques classiques que Virginie fait écouter à ses sauterelles.
La Nuée confirme le talent de Just Philippot, qu’on avait déjà pu apercevoir dans son court-métrage, Acide. On y suivait pendant 15 minutes une famille qui tentait de fuir un orage de pluie acide, attaquant tous les matériaux : briques, tôle... et la peau. Une ambiance apocalyptique que l’on retrouve dans La Nuée. Le film s'inscrit également dans une nouvelle vague du cinéma de genre français par le cinéma de genre. En témoignent les sorties des semaines prochaines : Teddy de Ludovic et Zoran Boukherma (30 juin) The Deep House de Julien Maury et Alexandre Bustillo (30 juin également) ou Titane de Julia Ducournau (14 juillet).
La Nuée est actuellement au cinéma.
Par Lucie Blanc-Jouvan
#2 - Médecin de nuit de Elie Wajeman - B.O de Evgueni & Sacha Galperine

Plongée nocturne dans la capitale, Médecin de Nuit est un polar sombre porté par Vincent Macaigne. Cinquième film d’Elie Wajeman et également labellisé "Cannes 2020", ce thriller d’une heure trente envoûte et révèle un Paris souterrain.
Mickaël travaille pour SOS médecin, de la tombée de la nuit jusqu’à l’aube. Profondément humain, il s’est décidé à accompagner les drogués, en acceptant de leur prescrire des doses de médicaments pour les sevrer, geste politique. Il est cependant entraîné par son cousin endetté (Pio MarmaÏ) dans un dangereux trafic de Subutex. Si le personnage de Vincent Macaigne touche par son humanité et sa dévotion, il n’en reste pas moins un personnage ambigu dans sa moralité. Mari infidèle, père absent, on se questionne sur son intégrité et son courage qui semblent parfois être des moteurs de sa vie; tout en étant parfois des qualités qui lui font cruellement défaut. Le film nous montre aussi la solitude d’un personnage oscillant entre des désirs et des engagements contradictoires dans sa vie professionnelle et personnelle. La virée nocturne de Mickaël devient aussi le moyen pour le réalisateur de nous embarquer dans un Paris sombre, peuplé de personnages en perdition et de criminels sans âme. Le rythme passe de scènes haletantes, tout en tension et en noirceur, à des moments suspendus dans la nuit, presque irréels : un anniversaire en boîte de nuit, un dîner entre amis pris à 3h du matin et des visites chez ses patients. Des instants précieux, comme des bulles de respiration dans cette nuit, qui dépeignent des rencontres d'une grande douceur : une patiente qui lui joue un morceau de Chopin, une femme en proie aux crises d'angoisse, une famille étrangère...
La bande originale a été composée par le duo d’artistes et frères Evgueni et Sacha Galperine, connus aussi pour avoir signé les BO du Passé d’Asghar Farhadi, de Faute d’amour d’Andrey Zviagintsev ou encore de la série Baron Noir de Ziad Doueri. La musique de Médecin de nuit enveloppe le spectateur grâce à un style à la fois minimaliste et expérimental. Les deux frères utilisent des instruments originaux et plutôt méconnus qui donnent au film un climat parfois inquiétant ("L'étau se resserre"), parfois hypnotique ("La tournée des patients").
Elie Wajeman adopte des références, américaine avec L'Impasse de Brian de Palma, mais aussi française avec la série Médecin de Nuit. Si le film reste parfois un peu classique et manque de profondeur dans la construction des personnages secondaires (notamment sa maîtresse, jouée par Sara Giraudeau), il demeure un thriller souvent captivant.
Médecin de Nuit est actuellement au cinéma.
La B.O de Evgueni & Sacha Galperine est disponible sur les plateformes de streaming.
Par Lucie Blanc-Jouvan
#3 - Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh - B.O de Amine Bouhafa, Evgueni Galperine & Sacha Galperine

1h38 en apesanteur dans une cité de briques rouges. Dans le premier long métrage de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh Gagarine, on voyage entre onirisme et réalité à travers l'imaginaire du jeune Youri, viscéralement attaché à sa cité et qui refuse de la laisser être démolie.
Youri, ses amis, ses voisins... habitent la cité Youri Gagarine à Vitry-sur-Seine. Insalubre, elle est menacée de démolition. Pour Youri c'est le drame, la cité c'est son univers. Il la répare avec affection et invente son propre imaginaire en ses murs, un imaginaire spatial où les lois de la gravité sont différentes. Il ne laissera pas son chez-lui mourir ainsi, et se démène avec ses amis pour aider à sa survie. Dans survie, il y a "vie" et c'est justement ce que Youri apporte aux habitants de Gagarine. Le film met en lumière l'écosystème de la cité où cohabitent différentes communautés qui s'entraident (les habitants immigrés qui côtoient la communauté de romanichels qui campe à côté) et où les routines s'installent. La vie est bien présente, elle bouillonne malgré les problèmes d'éclairage et d'ascenseur. Bientôt désertée, Youri réinvente la cité, elle devient son vaisseau. Se rêvant cosmonaute dans sa capsule, il embarque pour une dernière mission...
L'onirisme est le fruit de la mise en scène et des effets spéciaux, mais également de la magnifique B.O. Travail de plusieurs compositeurs, et notamment des frères Evgueni & Sacha Galperine (dont on avait déjà parlé pour le film La Communion, et qui apparaissent juste au-dessus pour Médecin de nuit - décidemment ils sont partout !). Leur composition joue de cette ambiance atmosphérique et planante, tout en insérant des bruits aigus, des sonorités comme des alarmes, des grésillements comme des interférences ; on est dans la capsule avec Youri. La B.O est tantôt angoissante, survolée et urgente avec des violons qui grincent et un rythme comme un battement de cœur (celui de la cité ?) ; tantôt apaisée, sereine. Ce contraste, on le retrouve dans le thème principal "Gagarine", qui apporte son lot de mystère. Youri et sa cité apparaissent comme des forces tranquilles, malgré un compte à rebours dont l'échéance est imminente. Cette B.O rappelle celle de Dan Levy pour le film d'animation J'ai perdu mon corps, empreinte d'anxiété et d'une certaine mélancolie.
B.O sonore et sans parole pour la majorité, mais accompagnée de la ballade "Ya Tara" composée spécialement pour le film par Amine Bouhafa et chantée par la douce voix de Lena Chamamyan. On reconnait également "Aux armes et cætera", fameuse reprise de la Marseillaise à la sauce reggae de Gainsbourg. Ces deux morceaux culturellement très différents, reflètent justement la melting pot des habitants de la cité.
Gagarine est une navette larguée dans l'espace. Ode au rêve d'un ado et à l'espoir ; on perd peu à peu pied avec la réalité pour léviter avec Youri sur les toits de Gagarine.
Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh est en salles de cinéma depuis le 23 juin 2021.
La bande originale composée par Amine Bouhafa, Evgueni Galperine & Sacha Galperine est disponible sur les plateformes de streaming.
Par Emma de Bouchony
#4 - 5e Set de Quentin Reynaud - B.O de Delphine Malaussena

Aller au stade ou au cinéma ? Entre Roland Garros et l'Euro 2020, c'est dans un contexte tout à fait propice que sort 5e Set. Alors que l'imaginaire collectif est en grande partie tourné vers le sport, en marge de l'amélioration de la situation sanitaire et de la réouverture des grands événements ouverts au public, le second long métrage de Quentin Reynaud mêle les styles et efface progressivement la frontière entre film et captation sportive.
Thomas Edison, interprété par Alex Lutz, est un tennisman approchant la quarantaine. Reconnu à ses débuts comme étant l'un des meilleurs espoirs de sa génération, une défaite lors d'un match de demi-finale coupe son élan et met un terme à son envol si prometteur. Dix-sept ans plus tard, entre les cours de tennis qu'il donne et le petits tournois auxquels il s'inscrit pour tenter de rester en compétition, Thomas est persuadé que le meilleur reste à venir pour sa carrière. Tentant à tout prix de convaincre son épouse Eve (Ana Girardot), ancienne joueuse, et sa mère (Kristin Scott Thomas), propriétaire d'un club de tennis, c'est sans prendre en compte un état physique en déclin que Thomas s'inscrit aux qualifications de Roland Garros pour se donner une dernière chance de victoire.

Il est rare que le cinéma donne autant l'impression de se trouver devant une télévision. Les matchs de tennis de Thomas, filmés et montrés comme on a l'habitude de les voir à la maison, apportent une véritable métamorphose de l'écran. C'est aussi lors de ces scènes que tout le dynamisme et l'exaltation de ce film-tournoi entrent en jeu, et ce en grande partie à travers la musique de Delphine Malaussena. Ayant déjà travaillé avec Quentin Reynaud en tant qu'ingénieur du son sur le film Paris-Wilouby (2015), elle signe ici sa première musique originale pour un long métrage. A l'aide d'un violoncelle et de nappes électroniques, la compositrice décrit le développement du mental de Thomas au fur et à mesure de sa progression dans la compétition. Le ton de la musique s'assombrit à chaque fois que la pression augmente pour le protagoniste, devenant de plus en plus grave et intense. A la limite du leitmotiv, chaque personnage est différencié de part le thème musical qui leur est associé, créant une réelle distinction entre Thomas et sa mère Judith.
Le film n'apporte que très peu de finalité sur certains axes majeurs de son récit, comme les relations entre Thomas et sa mère ou entre lui et son épouse. C'est par l'originalité de son style que le film se distingue, invitant le spectateur à même la terre battue.
5e set de Quentin Reynaud est disponible en salles depuis le 16 juin 2021.
Par Dimitri Sinitzki-Richard