Chez Tourtoisie, on aime autant danser dans les salles de concert que s’asseoir au fond d’un siège moelleux devant un écran géant. En prêtant toujours une oreille attentive au contenu audio des films, une fière équipe de frondeurs est heureuse de vous présenter B.O.BINES, la branche cinématographique de Tourtoisie. En cette période de confinement et de fermeture des cinémas, on vous a concocté une sélection des films qui ont marqué notre mois de Janvier et disponibles sur les plateformes de streaming.
Alors un peu à la ramasse sur les B.O qui ont marqué ce mois-ci ? B.O.BINES te prend la main et t'invite à plonger au coeur de ce qui a fait l'actualité ciné-musique de ces derniers temps à travers notre BEST OF des B.O du mois.
#1 - Oslo, 31 août de Joachim Trier
Le 29 Février 2012 en France, sortait en salle Oslo, 31 août, second long-métrage du réalisateur norvégien Joachim Trier. Après une projection à la sélection “Un certain regard” de Cannes en 2011, la France découvre sur le grand écran une nouvelle adaptation du roman de Drieu La Rochelle, Le Feu Follet.
Le film retrace la journée d’Anders, un jeune homme tourmenté, qui, tout juste sorti de cure de désintoxication, se rend à Oslo pour un entretien d’embauche.
Dans Oslo ,31 août, Joachim Trier réinvente un roman culte, nous en livre une version moderne tout en dévoilant de façon habile le détachement d’Anders de la vie, loin de l’excès d’un pathos qu’on n’aurait pu craindre.
Anders - interprété par Anders Danielsen Lie- déambule dans les rues d’Oslo, rencontre d’anciens amis, de parfaits inconnus, revient sur son passé et tente de vivre le présent. Dans un Oslo contemporain prodigieusement filmé, la mélancolie et la tristesse se heurtent aux soirées artificielles. Pourtant, les moments les plus sincères font irruption là où on ne les attend pas.

Le film surprend par son originalité. La séquence où Anders est assis à la table d’un café et écoute attentivement les conversations des clients en est un exemple phare. S’amuse-t-il du vacarme permanent de la ville ? Ou au contraire ce tumulte creuse-t-il davantage l’écart entre la société et lui-même ? Il semble presque étonné par la gaieté de ces personnes, désormais incapable de se réjouir de petites choses de la vie et inapte à toute forme de bonheur.
Les témoignages du début du film forment une sorte de mélodie, de fonds sonore qui introduit joliment l’ambiance du film et l’importance de la mémoire, du passé et des lieux.
La musique, élément absent de la première partie du film apparaît brutalement dans un second temps, contrastant avec le ton du film et donnant quelque part une forme d’espoir. Mais plus qu’une absence au début du film, c’est le silence qui règne. La musique acquiert donc par la suite une place dominante. Lors d’une soirée, des morceaux pop et funk résonnent et donnent une autre couleur au récit. On retrouve alors des hits d’époques variées tels que « I’ve been losing you » de you A-ha, ou encore « La ritournelle » de Sébastien Tellier.
On apprécie également qu’”Under your spell” de Desire connaisse une nouvelle vie, moins violente mais tout aussi sombre que dans Drive. « Too Long » des Daft Punk donne subitement une once de dynamisme au personnage principal habituellement éteint. Beaucoup de genres musicaux sont présents dans cette fin de film : en témoignent le morceau indie-rock du groupe allemand Eight Dayz « What's so strange about me » et les sons de Torgny Amdam, électro norvégienne déjantée aux sonorités pop et rock .
La musique déroute tant elle donne une dimension nouvelle au film tout en exprimant une énergie rock liée à la fatalité. Le choix volontaire de morceaux modernes, tendances, festifs et légers fait contrepoint à la démarche introspective d’Anders.
Deux morceaux sont assez représentatifs de l’ambiance du film : il s’agit de “Path to lucy” de Deaf Center et “Lamentation” de the White Birch. Le premier mêle réverbe et mélancolie tandis que le second, musique originale du film, fait primer l’instrumental, apporte une douceur à un certain sort inexorable.
Le film Oslo, 31 août de Joachim Trier est disponible sur Universciné et Mubi.
La Bande Originale du film est disponible sur les plateformes de streaming.
Par Adèle Hurier
#2 - Ham on Rye de Tyler Taormina - B.O de Deuter

Etrange sentiment que nous laisse le film Ham On Rye, premier du réalisateur et écrivain américain Tyler Taormina. Comme si en l’espace de 1h20, le temps était suspendu, et nous spectateurs, étions plongés dans un monde flottant, un monde à la fois familier par l’imagerie mais où le mystère plane. Parce qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette petite ville pavillonnaire américaine.
On suit trois adolescentes Hailey, la plus timide, Trish et Gwen, la plus affirmée. Elles se préparent, toutes les trois vêtues d’une robe blanche, pour ce qui semble être le fameux bal de promo à l’américaine, « corsage » au poignet, ce bracelet fleur emblématique de la prom night. On pense à Virgin Suicides de Sofia Coppola : lenteur du rythme et lumière très blanche un peu effacée. Et puis on part à la rencontre d’autres bandes de jeunes aux appareils dentaires et costumes trop grands. Ces ados entre deux âges - très filles d’un côté, garçons de l’autre - à la fois excités et un peu apeurés par l’évènement de la journée, sont poussés par des parents pressants à « ne pas les décevoir » pour ce qui devrait être « le plus beau jour de leur vie ». On se rend finalement compte ce qui se prépare : un rite étrange qui se déroule dans la sandwicherie du coin, qui n’est pas vraiment un bal de promo. Mais la prom night n’est-elle pas un rite en soit ? Un rite décisif de passage à l’âge adulte, où les ados espèrent faire "leur première fois". Comme la prom night, cette soirée rituelle sera déterminante dans leurs rapports sociaux et fera d’eux des membres de la communauté ou au contraire les remisera au rang de marginaux, d’âmes en peine, condamnés à ne pas être intégrés.
Difficile de placer temporellement ce film qui donne l'impression de se retrouver dans un teen movie des années 60-70-80, et puis en fait non : un smartphone par-ci, une segway et une cigarette électronique par là. Il y a une universalité certaine des codes traditionnels des banlieues américaines, codes qui semblent figés malgré les époques. Mêlant à la fois réalisme avec l'imitation voulue des stéréotypes des coming-to-age movie : dinner avec les parents mashed potatoes and steak, piscine bleue turquoise. Mais tout doucement, insidieusement, le surréalisme s’invite jusqu’à prendre toute l’image et nous laisse dans cet entre-deux inconfortable, parce qu'il semble naturel.
La bande originale participe à ce décalage temporel. Des musiques surannées, une bande originale digne d’un Dazed and Confused, un peu country, un peu rock de papa, on est aux Etats-Unis pas de doute. On retrouve ainsi du Led Zeppelin, ainsi que le girls band The Paris Sisters qui chantent "Dream Love", très années 1960 (rappelant un peu le yéyé français). Mais la tranquille apparence des premières images, justement portée par ce genre musical retro, est nuancée par la musique instrumentale du compositeur allemand new age Deuter, thème régulier du film. Méditative et hypnotisante, elle donne au film une force tranquille, à coups de vents (flûtes traversières) et d’éléments musicaux presque orientaux.

Sélectionné au festival de Locarno ainsi que celui de Deauville, ce film qui n’est pas sorti en salle en France, met à mal les traditions et coutumes sociales à l’origine d’inégalités. «Je suis fasciné par la façon dont les traditions des générations précédentes pèsent sur nous et à quel point nous sommes impuissants face aux injustices potentielles de la cérémonie» , a déclaré le réalisateur au festival Locarno (source : www.locarnofestival.ch). Un film mystérieux et taiseux qui porte néanmoins un message très clair.
Le film Ham on Rye de Tyler Taormina est sur Mubi depuis le 11 janvier 2021, ainsi que sur Amazon Prime.
La bande originale sur film, en partie composée par Deuter est disponible sur les plateformes.
Par Emma de Bouchony
#3 - Two/One de Juan Cabral - B.O de Nicolas Barry et Tomas Jacobi
On s’est tous dit au moins une fois en voyant quelque chose se passer, en écoutant quelqu’un nous raconter une histoire, ou tout simplement en réfléchissant à une idée, qu’il faudrait en faire un film. C’est aussi ce qu’on imagine en regardant Two/One, film de 2019 du réalisateur Juan Cabral. Dans ce premier long métrage, le cinéaste argentin connu dans le monde de la publicité nous offre un scénario qui aurait très bien pu venir d’une telle réflexion.

Le film suit le quotidien de deux hommes. Le premier, Kaden, 35 ans, est canadien. Sauteur à ski professionnel, il appréhende la fin imminente de sa carrière dûe à son âge. Le second, Khai, est en pleine montée dans sa vie professionnelle au sein d’une grande entreprise à Shanghai. Alors qu’ils sont complètement opposés géographiquement, leurs vies semblent être liées.
Cette connexion entre les deux protagonistes est finement construite, se développant de façon subtile avec la progression du film. Comme deux pièces d’un puzzle, leurs deux existences se complètent tout en se contredisant. Alors que l’un va se coucher, l’autre se réveille. Un jour, l’ex petite amie de Kaden revient dans sa vie après dix ans. De son côté Khan tombe par hasard sur des photos d’une de ses collègues postées sur un site de revenge-porn. Tous les aspects de leurs vies s’opposent de cette façon. De la relation avec leurs pères à leurs comportements, ils sont les deux côtés d’une même pièce. Seule l’angoisse les rassemble. L’angoisse de vieillir pour Kaden et celle de la solitude pour Khai. En tant que spectateur, on se demande tout le long du film si cette connexion se matérialisera un jour et si ce lien croissant entre les personnages touchera son apogée.

La musique originale de Nicolas Barry et Tomas Jacobi traduit cette contre-symbiose. Le récit se déroulant tantôt chez un personnage, tantôt chez l’autre, le film est coupé par de vastes plans de montagne, de ville ou de l’espace, rappelant l’immensité qui sépare Kaden et Khai. La musique illumine ces transitions et illustre le vide qui occupe leurs vies. La partition, en grande partie électronique, est ambiante et fait parfois penser à une ambiance de jeu vidéo. Large, imposante et souvent sombre, elle rappelle Wendy Carlos et la musique de The Shining de Kubrick. Par moment, elle est entièrement intégrée au film par Khai, qui joue de la batterie, superposée à un air de Bach retravaillé. Sans pour autant être un véritable personnage, la musique de Nicolas Barry et Tomas Jacobi fait le lien entre les deux protagonistes. Certaines synchros sont surprenantes mais parfaitement adéquates aux scènes qu’elles illustrent. On retrouve par exemple Infinite Bisous, ou encore Oxmo Puccino.
Two/One est disponible sur Mubi. La bande originale de Nicolas Barry et Tomas Jacobi est disponible sur les plateformes.
Par Dimitri Sinitzki