Chez Tourtoisie, on aime autant danser dans les salles de concert que s’asseoir au fond d’un siège moelleux devant un écran géant. En prêtant toujours une oreille attentive au contenu audio des films, une fière équipe de frondeurs est heureuse de vous présenter B.O.BINES, la branche cinématographique de Tourtoisie. En cette période de confinement et de fermeture des cinémas, on vous a concocté une sélection des films qui ont marqué notre mois de novembre et disponibles sur les plateformes de streaming.
Alors un peu à la ramasse sur les B.O qui ont marqué ce mois-ci ? B.O.BINES te prend la main et t'invite à plonger au coeur de ce qui a fait l'actualité ciné-musique de ces derniers temps à travers notre BEST OF des B.O du mois.
#1 - If Anything Happens I Love You de Michael Govier et Will McCormack - B.O de Lindsay Marcus
On ne parle pas assez des courts-métrages disponibles en VOD, en particulier dans la jungle que peuvent être les plateformes de streaming en termes d’offre. Entre blockbusters, séries et films cultes en passant par les documentaires, le format court est facilement mis de côté. Or au moment où cet article a été rédigé, le Top 10 des programmes les plus visionnés sur Netflix contient un court métrage d’animation de 12 minutes.

If Anything Happens I Love You est un film au titre tout aussi poignant que le sujet qu’il aborde. Dès la première séquence, des notes de piano à la fois douces et percutantes nous présentent un couple, ou plutôt ce qu’il en reste. Assis de part et d’autre d’une longue table ornée d’une fleur fanée dans son vase, un homme et une femme mangent sans appétit, se souciant à peine de la présence de l’autre. Dénuée de couleur, cette scène et celles qui suivent expriment un manque irremplaçable, celui d’une petite fille perdue. Ce piano ainsi que des cordes épaisses viennent se mêler à des sons de vent et de pluie pour enraciner ces deux êtres dans leur tristesse. Lorsque la mère retrouve un t-shirt de sa fille défunte et tombe en sanglot, c’est le silence qui domine pour un court instant, car il y a des peines qu’aucune musique ne peut décrire. Le souvenir est alors la seule lueur de vie pour ces parents déchirés que le drame a éloignés l’un de l’autre.
Dans ce film sans dialogue, la musique de la compositrice Lindsay Marcus parle pour ses personnages. Elle accompagne la vie dans son plus grand chagrin comme dans sa renaissance. C’est avant tout un message lumineux et empli d’espoir qui est transmis par ce film et sa bande originale : accepter de vivre et d’aimer face à l’inacceptable. Le piano de l’introduction est morose mais léger, les cordes répétitives mais claires. Alors que le film plonge dans des épisodes de la vie de cette famille autrefois unie, les seuls mots audibles proviennent des paroles d’une chanson aux sonorités pop écrite par Marcus pour le film.

C’est le début d’un voyage intérieur, entre réminiscence et moment présent à travers les joies et les peines de ce couple. L’ambiance s’allège au fur et à mesure que l’homme et la femme revivent intérieurement leurs plus beaux moments de vie avec leur fille. De retour à l’instrumental, cette légèreté est traduite par la compositrice qui n’abandonne pas la mélancolie mais la rend vivable. Des percussions douces, un synthétiseur émulant des cloches sautillantes et des cuivres qui dansent avec les cordes indiquent qu’une lumière existe toujours en ceux qui sont disposés à la saisir.
Lorsque l’origine du drame est dévoilée, la peine n’en est pas moins douloureuse, mais elle passe dans l’arrière plan d’un amour infatigable permettant à ceux qui restent de continuer à vivre. Toujours présente, la musique de Lindsay Marcus est un remède visant à apaiser l’insurmontable.
If Anything Happens I Love You de Michael Govier et Will McCormack est disponible sur Netflix France.
Par Dimitri Sinitzki
#2 & 3 - Good Time & Uncut Gems des frères Safdie - B.O de Oneohtrix Point Never
Difficile de parler de Good Time sans en venir à Uncut Gems et vice versa. Les cinquième et sixième longs métrages des frères Safdie, nouveau souffle du cinéma indépendant New Yorkais, jouent avec des codes évidemment proches et semblent avoir été pensés presque comme des épisodes d’une même série. Des thrillers très sombres et sans répit, qui ne traitent pas de la belle époque des gangsters mafieux à la sauce Scorcesienne mais plutôt de petits malfrats modernes, loin, très loin d’une quelconque gloire.

Good Time, tout d’abord, sorti en 2017 avec Robert Pattinson qui livre une performance magistrale de bad boy blond platine, Connie, prêt à tout pour sortir son frère handicapé de l’hôpital psychiatrique. Suivi par Uncut Gems, sorti sur Netflix en France cette année, qui met quant à lui en scène Adam Sandler – transformé, aux antipodes de ses rôles de comiques habituels – aka Howard dans le film, propriétaire d’une bijouterie à New York, endetté jusqu’aux dents et qui multiplient les « coups » pour tenter de se refaire. Les deux hommes suivent le même schéma dans un New York sombre, univers véreux et malsain : malgré un destin sans espoir et une succession de déboires, ils persistent avec une endurance dangereuse.

La frénésie des personnages est extrêmement contagieuse et ce notamment grâce à leurs bandes originales respectives composées par Oneohtrix Point Never. Compositeur américain originaire de Brooklyn, il a développé une musique électronique expérimentale qui lui est propre et a notamment produit pour FKA Twigs et The Weeknd (qui apparait d’ailleurs à ses débuts dans Uncut Gems).
Il est rare de trouver une cohérence aussi évidente entre une bande originale et un film. Dans ces deux longs métrages, une musique électronique omniprésente très frénétique se marie à merveille avec l’état d’acharnement, de rush et d’improvisation constante des personnages. On s’imprègne d’un univers musical digital, presque « jeux vidéo », qui reflète bien l’aspect labyrinthique des plans sans issue dans lesquels Connie et Howard se sont respectivement embarqués et qui prennent le spectateur aux tripes du début à la fin. Ces bandes originales ne ressemblent en réalité à rien à part à elles-mêmes : elles ne se restreignent pas aux sonorités digitales. Un mélange de touches jazz, électroniques, de percussions, créé une atmosphère clairement hors norme.
Ici la musique d’Oneohtrix Point Never fait planer le spectateur dans un univers psyché tantôt pur et cristallin tantôt dark, malsain et suffocant, comme la descente d’un bad trip. Même chose à l'écran, les rares scènes lumineuses le sont par les spots agressifs du magasin de bijoux de Howard (Uncut Gems) ou de l’enseigne d’un prêteur sur gages dans laquelle se rend Connie (Good Time) : une lumière éclatante mais fausse. Comme si malgré l’énergie gaspillée à la réussite de leur plan de sauvetage, la lumière au bout du tunnel reste difficilement atteignable.
Pas de répit ni pour Connie, ni pour Howard, ni pour nous donc. La spirale infernale de ces personnages, piégés par leurs magouilles, rongés par une solitude inévitable, nous rend complice de leurs galères et nous font espérer avec eux une lumière au bout du tunnel.
Good Time et Uncut Gems de Benny et Joshua Safdie sont disponibles sur Netflix France et les soundtracks de Oneohtrix Point Never sont disponibles sur les plateformes de streaming.
Par Emma de Bouchony
#4 - The Neon Demon de Nicolas Winding Refn - B.O de Cliff Martinez
Ce n’est pas la première ni l’unique collaboration entre Nicolas Winding Refn, célèbre réalisateur danois et Cliff Martinez, grand musicien et compositeur de film américain. En effet, ce dernier a composé les bandes originales de Drive, Only God Forgives et plus récemment de la série Too Old To Die Young. Cette B.O n’est d’ailleurs pas passée inaperçue puisqu’elle a été récompensée au festival de Cannes en 2016.

The Neon Demon, long-métrage sorti en 2016, dépeint la situation d’une jeune fille qui atterrit à Los Angeles avec la vocation de devenir mannequin. Le film nous révèle son parcours et nous permet de nous introduire dans les coulisses du milieu obscur qu’est celui de la mode. Cette jeune fille, Jesse, allégorie de la pureté et de l’innocence va progressivement basculer dans une superficialité où la primauté de l’apparence et la célébrité mènent à la violence et au gore.
La bande originale met en lumière l’ambivalence des sentiments entre les personnages et notamment à l’égard de Jesse : jalousie, malveillance, amitié, amour et concurrence. Ce mélange d’émotions vient troubler le spectateur, à la fois mal à l’aise et curieux.

Ce conte d’épouvante se caractérise donc avant tout par une B.O. aux ambiances pesantes. La musique est partie intégrante de la structure du film de par la puissance de ses sonorités organiques et son identification à une symphonie, dans laquelle les sonorités électroniques, planantes et effrayantes entravent nos repères et suppriment le référentiel au temps. L’œuvre de Cliff Martinez est même considérée par le réalisateur comme « complémentaire de son processus d'écriture » (Source : Konbini). Les morceaux mêlent des influences sonores de films d’horreur, l’utilisation de synthétiseurs aériens et des mélodies hypnotiques donnant une dimension onirique à un récit des plus cauchemardesques. L’œuvre originale par la profusion d’effets et l’intensité rythmique est le reflet du milieu de la mode, de son emprise sur les mannequins, de la compétition aigüe et sans loi et de la glorification de l’artifice. La B.O. est remarquable d’efficacité. Le film commence avec un titre qui ne laisse planer aucun doute sur l’ambiance du film : Neon Demon. Ses sonorités atmosphériques et ses synthétiseurs angoissants nous ouvrent les portes des pires machinations et de l’obsession.
Ce film constitue une forme d’expérimentation visuelle et sonore : les néons riment avec esthétique et l’élégance sonore avec massacre. En effet, tous les morceaux gravitent autour d’un thème principal à l’empreinte bien particulière : une combinaison de musiques électroniques et d’arrangements presque philharmoniques. Certains titres contrastent avec ce thème, notamment Waving Goodbye de Sia (feat. Diplo) au générique. Lors de la séquence où Jesse se voit propulser dans une soirée privée des plus surprenantes, on retrouve une atmosphère à la fois intimiste et glamour avec le titre pop Mine de Sweet Tempest avant de plonger dans un univers techno industrielle avec The Demon Dance de Julian Winding.
Si on a reproché au film une certaine inconsistance, ce qui est sûr c’est qu’il éveille en nous un sentiment d’étouffement tant l’atmosphère y est anxiogène. Pourtant, il suscite l’attention du spectateur et son envie de discerner les rouages et motivations des personnages dans un milieu où la fin justifie clairement les moyens. Le domaine de la mode y est présenté comme le théâtre de la violence - de tout ce qu’il y a de plus détestable chez l’Homme - et les mannequins apparaissent comme des mutants, à mi-chemin entre robots et vampires.
The Neon Demon de Nicolas Winding Refn est disponible sur Netflix France.
Par Adèle Hurier