Chez Tourtoisie, on aime autant danser dans les salles de concert que s’asseoir au fond d’un siège moelleux devant un écran géant. En prêtant toujours une oreille attentive au contenu audio des films, une fière équipe de frondeurs est heureuse de vous présenter B.O.BINES, la branche cinématographique de Tourtoisie. Cinéma indépendant, bandes originales renversantes, compositeurs émergents, festivals dynamisants… C’est avec grand plaisir que chaque mois, nous vous partageons nos coups de cœurs musicaux du grand ... et du petit écran. Cette semaine, on a rencontré Gaëlle Rodeville qui nous a éclairé sur le Festival International du film d'Aubagne Music & Cinéma.

Le Festival International du film d’Aubagne Music & Cinéma est de retour cette année pour sa 22ème édition ! B.O.BINES a eu la chance de rencontrer Gaëlle Rodeville, Déléguée Générale du festival. Nous avons pu échanger sur la nouvelle édition, les films en sélection, l’importance du lien compositeur-réalisateur et les multiples dispositifs que ce festival met en place. Spoiler alert : cette année les invités d’honneur sont Ibrahim Maalouf, Samir Guesmi, Lolita Ritmanis, Renaud, Eric Barbier ainsi que Florencia Di Concilio.
Bonjour Gaëlle, merci infiniment de me recevoir. Pourriez-vous me présenter en quelques mots Le Festival International du Film d'Aubagne Music & Cinéma, ses spécificités, ses valeurs et ce qui est à l’origine de sa création ?
Nous avons très rapidement choisi de travailler sur la promotion de la jeune création cinématographique associée à la création musicale pour l’image. Nous articulons cette politique artistique autour de 4 axes. Le premier étant le cinéma émergent avec deux compétitions, de courts et de longs métrages, qui présentent aussi une musique originale ou un travail spécifique sur la bande sonore.
Le deuxième volet est la diversité culturelle. Nous avons le souhait de permettre à un public de rencontrer des personnalités, toujours en rapport avec la musique et l'image. En 2020, cette personnalité était l’actrice et chanteuse Agnès Jaoui. Il y a aussi un regard très attentif aux coopérations avec un ensemble de festivals ou d’écoles.
Le troisième volet est un pôle d’éducation à l’image, puisque le festival reçoit à peu près 6000 scolaires pendant la semaine de la manifestation avec des programmes bien spécifiques. Ces programmes sont accompagnés d’ateliers : à la fois d’écriture scénaristique, de composition musicale sur la question du son et de rencontres privilégiées avec des professionnels.
Et enfin, le dernier volet, qui à mon avis a permis à la structure de se développer, est la création de différents dispositifs de professionnalisation adressés aux auteurs, à la fois réalisateurs, scénaristes et compositeurs. Le premier, appelé le SiRAR est une bourse qui permet à un auteur de réaliser son premier court-métrage avec un budget global de 24 000 euros. Nous avons également l’espace Kiosque : un dispositif de mise en relation individuelle des auteurs avec des producteurs, devenu le rendez-vous pour de nombreux producteurs nationaux. Il permet aujourd’hui la réalisation et production concrète de projets. Les deux autres volets sont consacrés à la musique à l’image. D’une part, une masterclass sous forme de résidence de 10 jours pour des jeunes compositeurs sélectionnés qui travaillent avec un grand compositeur. La dernière grande compositrice, malheureusement happée par le confinement, fut Florencia Di Concilio (Calamity). Parmi les précédents, on note Renaud Barbier qui avait composé pour La Promesse de l’Aube et Petit Pays. De cette masterclass découle la création d’un ciné-concert présenté à l’occasion du festival.
Enfin, nous avons développé il y a une dizaine d’années le marché européen de la composition musicale pour l’image, qui permet de mettre en relation un binôme producteur-réalisateur avec un compositeur. Ce dispositif est le développement de carrière de beaucoup de compositeurs. A titre d’exemple, les deux dernières caméras d’Or à Cannes, que ce soit Girl ou Nuestras Madres sont issues de ce marché. D'ailleurs nous avons un programme qui se nomme “Ils ou Elles repasseront par-là”. Cette année nous mettons notamment l’accent sur Delphine Malausséna qui signe 5ème Set qui sort en avant-première ; Mathieu Lamboley qui a reçu son premier prix de musique de films en 2006 à Aubagne, notamment compositeur de Lupin ou encore Amaury Chabauty pour Teddy.
L’ADN et l’esprit du festival se caractérisent vraiment par un espace de partage, via des dispositifs permettant la concrétisation de projets de développement de carrière pour les compositeurs. Cela explique pourquoi aujourd'hui nous sommes très reconnus pour les compositeurs, émergeants mais aussi confirmés.

Le festival semble effectivement jouer le rôle de tremplin pour les jeunes talents. Il est vraiment devenu un festival de référence, implanté depuis plus de 20 ans. Selon vous comment explique-t-on le retour de certains talents à Aubagne après des années de développement de carrière ?
Par exemple, la superbe compositrice Florencia Di Concilio a reçu son premier prix de musique de films en 2019 à Aubagne. Et elle disait aux interviews lors de la masterclass - et j’étais surprise de cela - “le fait d’avoir le prix à Aubagne a déclenché énormément de choses auprès des gens”. C’est un marqueur de son déclenchement de carrière alors qu’elle avait déjà travaillé sur un nombre de films important, tel qu’Ava. C’est effectivement devenu un label.
Vous faites le choix, si je ne me trompe, d’une édition hybride cette année.
Effectivement nous conservons deux formules : à la fois un festival en présentiel et un festival en digital. Nous conserverons de toute façon la version digitale pour plusieurs raisons ... Nous faisons une ouverture à près de 800 personnes en temps normal, cette année nous allons être à 300. D’où l’importance de la version digitale. L’édition de l’année dernière a été annulée 15 jours avant la manifestation : c’est pourquoi nous avons monté une plateforme. Nous réalisons que tout n’est pas mauvais dans le digital. L'avantage aussi c’est que tous les pays peuvent regarder le festival. Nous avons l’année précédente touché 88 pays. Et on a des histoires fabuleuses, notamment avec la diffusion du film Papicha de Mounia MEDDOUR et la mise en avant du compositeur Rob. Le film était interdit en Algérie. Or, nous avons eu l’autorisation de le diffuser dans le monde entier sur la plateforme pendant 24 heures. Le jour où nous l’avons diffusé nous avons recensé la création de 3850 comptes algériens.
Le digital permet donc aussi à des gens qui ne peuvent pas se déplacer de voir les films. Pour la diversité culturelle on a travaillé avec un ensemble de festivals portugais, allemands, écossais, espagnols. Nous avons nos invités d'honneur : Ibrahim Maalouf qui va venir parler de son travail en tant que compositeur de musique de films, l’acteur réalisateur Samir Guesmi qui a fait un magnifique premier long métrage appelé Ibrahim, Lolita Ritmanis compositrice letonne attitrée de la Warners Bros pour les films d’animation, Rob & Rebecca Zlotowski avec le film Grand Central et les frères Barbier avec Petit Pays (pour les duos compositeur - réalisateur), Delphine Malausséna, Armaury Chabauty, Florencia Di Concilio, Pierre Pinaud et Mathieu Lamboley (pour le programme “Ils repasseront par-là”).
Vous mettez en place un grand nombre de dispositifs avec des partenaires notamment européens (InMICS, European short pitch, etc). Promouvoir la coproduction en Europe est-il un enjeu primordial pour vous ? Souhaitez-vous permettre aux réalisateurs et compositeurs de sortir des frontières françaises pour avoir une renommée internationale ?
Je pense que c’est un état d’esprit global de la manifestation. Le partage est notre objectif. Dans le partage il y a la construction, la coopération, la fédération et nous sommes persuadés que nous ne sommes pas forts individuellement, mais ensemble. Si nous pouvons avoir un petit rôle sur la sensibilisation de la musique de film, la prise en considération du compositeur pour ce qu’il est (le troisième auteur), et que nous pouvons le faire aussi en coopérant sur des projets européens permettant un rayonnement un peu plus large, alors nous le faisons. InMICS est par exemple un master que nous avons cofondé avec un ensemble de partenaires européens et français pour essayer de permettre aux compositeurs français, à travers un master, d’accéder à une formation suffisamment importante pour rester en France. En effet, beaucoup sont obligés d’aller aux Etats-Unis, s’y former, pour ensuite retourner en Europe. C’est dommage de ne pas avoir de formation en Europe. Il n’y a que deux formations sur la composition à l’image légalement reconnues en France : les deux grands conservatoires Paris et Lyon. On s'aperçoit que dans les formations cinéma - comme la Fémis par exemple - on forme à l’image, on forme à la réalisation, mais on ne forme pas à la question de la composition musicale. Donc un réalisateur sortant de la Fémis n’a pas forcément rencontré une seule fois un compositeur de musique de films et inversement.
Concernant l’éducation à l’image, ressentez-vous les effets escomptés des actions de médiation auprès des jeunes publics ?
Quand on est jeune on a besoin de hobbies, de passions qui nous permettent d’affronter l’adolescence. Il me semble que la médiation culturelle autour de la musique, le cinéma, l'éducation artistique permet effectivement à quelques jeunes de les sensibiliser, de les amener sur un chemin.

Vous parliez des différentes compétitions. Vous avez une compétition court métrage et avez même sélectionné 72 courts pour la 22e édition. Pourquoi, à votre avis, consacre-t-on de plus en plus de catégories au court-métrage dans toutes sortes de festivals ? Et pourquoi y a-t-il autant de festivals de court-métrage ? Le court-métrage dispose-t-il d’un lien privilégié avec la musique ?
Je pense que le court-métrage est un espace de liberté, il donne la possibilité de faire ce que l’on souhaite sans trop de contraintes de production (même s’il y en a malgré tout car un court métrage a tout de même un coût important). Mais le court-métrage est une carte de visite, permettant de faire ses premiers essais et donc d'arriver jusqu’au long-métrage. La SACEM nous a choisi en 2007 pour gérer le dispositif d’aide à la musique originale pour les régions PACA, Auvergne-Rhône-Alpes. Nous nous sommes rendus compte au bout de 3,4 ans que nous n'utilisions pas cette enveloppe : soit le projet de court-métrage était incroyable mais le projet musical catastrophique, soit le projet musical était très beau mais le scénario mauvais. Nous avons donc réalisé à quel point il n’y avait pas de mise en relation entre différents acteurs d’une chaîne de production d’un film et encore moins entre un réalisateur, producteur et compositeur. D’où la mise en place du marché européen de la composition musicale. J’aurais tendance à penser que même si cela a beaucoup évolué, la problématique du court-métrage est la suivante : on fait souvent appel à un ami. On ne fait pas la démarche d’aller chercher un compositeur qui lui est spécialisé dans la musique de films, aussi pour une question de coûts. De toute façon, encore aujourd’hui, dans le long-métrage on appelle un compositeur à la fin d’une production, d’un budget, s’il reste de l’argent. Sauf pour des compositeurs qui sont aujourd’hui devenus des concepts ou des compositeurs tellement connus que de toute façon ils vont ajouter une plus-value aux films. Mais ils se comptent sur les doigts de la main : ce sont des John Williams, des Ennio Morricone, des Alexandre Desplat.
C’est vrai que notamment le métier de supervision musicale n’est pas valorisé de la même manière en France qu’aux États-Unis par exemple. Du moins il est nécessairement présent dans un film américain ; ce qui n’est pas le cas en France.
Oui, d’ailleurs ce sont surtout les agents des compositeurs qui sont chargés de la supervision musicale en France, même s’il y en a très peu par rapport aux États-Unis ... Et effectivement ce n’est absolument pas un métier reconnu comme cela peut l’être aux Etats-Unis. Cependant, il y a une prise en considération progressive du superviseur musical. Mais les budgets sont très faibles, cela n’a rien à voir.
En plus des aides de la SACEM dont vous parliez, le CNC met en place des dispositifs dans le domaine de la composition de musique de films.
Oui, tout à fait. Le CNC aide aussi vraiment beaucoup sous forme de bourses d’aide de compositeurs, et la SACEM a différentes bourses qui évoluent en fonction du format, court, long, unité, etc. La SACEM accompagne énormément les compositeurs pour qu’ils se rendent dans des festivals : par exemple pour se rendre aux Oscars, si vous avez un film français représenté, le compositeur ne sera jamais invité. Au même titre qu’à Cannes il n’y a pas de Palme d'Or pour le compositeur.
Existe-t-il selon vous d’autres festivals en France qui s’intéressent au lien compositeur-réalisateur ?
Avant, il y avait le festival d’Auxerre qui travaillait sur la question. Il y a le Festival du Cinéma & Musique de Film de la Baule et le festival Sœurs Jumelles à Rochefort. Nous sommes sur des choses un peu différentes. C’est-à-dire que la Baule est davantage un festival qui mise sur des concerts de grands compositeurs de musiques de films avec des capacités de 5000 personnes. A priori, le festival Sœurs Jumelles sont davantage sur des grands concerts de musique, de grands compositeurs chanteurs interprètes, par exemple Benjamin Biolay qui interprète Michel Legrand sur des grosses scènes. La question de l’émergence de la jeune création, la formation, la mise en avant des compositeurs de musique de films c’est typiquement Aubagne. Mais c’est aussi parce que Aubagne est une petite ville : elle n’a pour l’instant pas les infrastructures. Nous pouvons faire des concerts de 1000 personnes maximum. Aubagne est vraiment reconnu comme un tremplin, comme un développement de carrière des compositeurs et une mise en relation avec des projets concrets.
Le dispositif Ciné-concert "Regards Croisés" permet une performance interprétée par les musiciens du Conservatoire de la Ville d’Aubagne. Promouvoir les talents locaux est au cœur du festival ?
En fait, il y a toujours une attention particulière sur les locaux. Évidemment tous les dispositifs que nous mettons en place restent très professionnels. Il me semble que lorsqu’on permet de mettre en relation, de faire des rencontres, ou que l’on donne la possibilité de travailler avec des gens locaux c’est essentiel aussi pour faire vivre le territoire, le monde artistique local. Je ne dirais pas que c’est une priorité, c’est davantage quelque chose de naturel.
La 22ème édition du Festival International du film d’Aubagne Music & Cinéma se tiendra du 31 Mai au 5 Juin 2021, en hybride (en VOD sur vod.music-cinema.fr).
Propos recueillis par Adèle Hurier